Rappelle le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d'État, que Pie IX gouverna
l'Église durant 32 ans (le Pape actuel n'en est qu'à sa 26ème année) et que Léon
XIII naquit en 1810 et fut à la tête du catholicisme jusqu'en 1903, bien après
son 93ème anniversaire (Sa Sainteté est presque 10 ans plus jeune). On dirait
que les catholiques peuvent compter sur Karol Wojtyla pendant encore un ou deux
lustres, si, bien entendu, le Saint-Esprit le permet.
De plus, comme l'affirme le vaticanologue Vittorio Messori dans le
Corriere
della Sera, le Saint-père n'a pas de supérieurs hiérarchiques, sauf aux
Cieux, par conséquent il n'y a pas de mortel ni de conseil de mortels qui puisse
lui demander de prendre sa retraite.
L'une des choses les plus fascinantes du catholicisme, du moins pour moi (et je
suis sérieux), c'est cette régularité dans les traditions millénaires : les
cérémonies somptueuses, les ornements majestueux, les voix diaphanes des enfants
impubères face aux mugissements profonds des orgues, les tissus et les robes,
les capes et les brocarts, de la bonneterie et la soierie qu'aimeraient bien
porter les modèles décharnées de
Fashion TV.
Tout cet équipement, l'or, le trône, la crosse, les exquises paroles en latin (notre langue
maternelle), les Encycliques aux noms aussi mystérieux qu'insondables : Rerum
Novarum, Veritates Splendor, Fides et Ratio, Centesimus Annus.
Ça, c'est des noms, pendant qu'ici on parle de tristes putes(1) - Si au moins
c'étaient des
Afflictas Meretrix, ou quelque chose de moins racailleux.
Le système gouvernemental de l'Église, institution très ancienne, bien sûr moins
ancienne que la démocratie athénienne, s'inspire des grands monarques de
l'Empire Romain, L'Église n'est pas une démocratie mais une monarchie : le
gouvernement d'Un. Ce qui se passe, c'est que des monarques, des vrais, ça
existe plus, et si on veut au moins avoir une idée de ce que c'était, il faut se
diriger vers ce royaume liliputien (de ce monde et l'autre) appelé Vatican,
d'où, une cour de prélats et princes dirigent l'énorme congrégation de fidèles
qu'on appelle Église Catholique Apostolique et Romaine. Leur système marche à
peu près comme ceci : tous les cardinaux et les évêques peuvent donner leur avis
sur quelque question, mais seul le Pape décide ce qu'il faut faire et croire
(dogme), il se demande conseil à lui-même, et quémande humblement l'inspiration
Divine. Et puis basta.
Dans les monarchies (que dans le monde politique d'aujourd'hui ne possèdent que
des lointains cousins : les dictatures), le déclin du roi, son invalidité
physique ou mentale n'impliquent pas la retraite obligatoire. Les journalistes
demandent au cardinal Sodano : « Et s'il ne peut plus parler ? Peut-on gouverner
sans parler ? - Le seigneur lui donnera l'Inspiration, car le Pape peut
s'exprimer et diriger la nef de l'Église de façons différentes ».
Vous voyez, même si Karol perd l'usage de la parole, il pourrait piloter le
bateau de l'Église avec des signes, avec l'aide de Dieu. Pour nommer un évêque,
par exemple, il lui suffit de bouger son index.
Si la Colombie, sacrée nation du bordel, put être gouvernée, pendant la fin du
règne de Messire Barco(2), par un président perdu dans le ténèbres de
l'Alzheimer, l'Église ne pourrait-elle continuer son chemin avec le Pape à cause
d'un simple Parkinson ?
S'il vous plaît. On voit que les gens qui avancent ce genre d'imbécillités ne
connaissent pas les vrais systèmes hiérarchiques, où tant que la date de
péremption du sommet de la pyramide n'est pas arrivé il continue à gouverner.
Franco, généralissime d'Espagne et caudillo de la chrétienté, gouverna pendant
des mois ou des semaines alors qu'il était dans le coma. Et vous allez voir,
Fidel, il va gouverner jusqu'au dernier souffle, et si possible un peu plus, le
temps que les généraux, parents et courtisans s'occupent de la succession. Le
Cid(3) gagna des batailles après sa mort.
Messieurs : un Pape, ça prend pas la retraite. C'est le vulgaire âge post
-moderne qui pense que le catholicisme est une espèce de multinationale comme la
General Motors ou Coca-Cola, qu'il faut qu'elle ait un PDG très jeune et beau
garçon, plein d'entrain, qui possède une cour de blondes et six conseils de
yuppies et qui roule en jet privé, tant que le tympan tient la labyrinthite(4).
Non messieurs. L'Église n'est pas cela. C'est une institution plus vieille que
Nietzsche, qui date d'avant la mort de Dieu, et si jamais Dieu est encore
vivant, tout reste possible.
Et pour preuve, esgourdez le miracle : le Pape a à ses côtés, et ce depuis des
décennies, un secrétaire polak, monseigneur Stanislw Dziwisz, qui est la seule
personne qui comprenne tout ce que le Pape raconte. Pire, il connaît si bien sa
Sainteté, que même avant qu'il parle il comprend déjà. Vous allez voir, si la
situation s'aggrave encore plus, Karol pourra gouverner avec les paupières : le
cardinal Dziwisz fera l'interprétation.
Toute personne vieille ou malade, Pape ou pas Pape, mérite qu'on la respecte. Et
l'une des choses les plus tristes qu'on puisse faire à un malade, c'est de le
manipuler et le maintenir en vie à tout prix, afin de s'octroyer son pouvoir.
Pourvu que ce ne soit pas la cause de cette maladie.