Oui, le triomphe de la pensée unique : rendre obsolète, ringard, débile tout ce qui la contredit ou simplement la contrarie. Voir que dans un bouquin de "sciences économiques et sociales" de terminale publié en 1995 la pensée économique se résume à une querelle entre le libéralisme pur et le système de Keynes, ça fait froid dans le dos.
Comprendre ne serait-ce que les bases du marxisme est absolument fondamental pour comprendre l'économie, ne serait-ce que parce que c'est là qu'apparaît l'utilisation massive du formalisme mathématique pour légitimer une idéologie, méthode reprise par les continuateurs de Smith dans l'autre camp deux ou trois décennies plus tard et qui a fait pas mal de chemin depuis.
Tenter de comprendre le monde dans lequel nous vivons est totalement vain sans la connaissance historique de la pensée socialiste : les enjeux de la réaction aux idées des Lumières portées par la révolution française en 1830, la vague de révolutions de 1848 qui a profondément recomposé l'Europe, etc.
Qui connaît encore l'importance considérable du catholicisme social ? Si vous lisez le
rerum novarum de Léon XIII, publié en 1891, vous aurez un exemple que je trouve personnellement assez significatif, bien qu'on puisse en trouver d'autres, de la profondeur de l'influence de la pensée socialiste sur les courants d'idées qui ont façonné le 20ème siècle. Réduire tout ça au chiffon rouge du sale communiste est une pure insulte à l'intelligence. A moins que vous imaginiez que ce bon Léon dormait avec Das Kapital sous son oreiller ?
Qu'on en soit arrivé à un point où parler de socialisme est systématiquement réduit au marxisme, lui-même assimilé au communisme, lui-même confondu avec le stalinisme (qu'on ne prend même pas la peine de distinguer du nazisme, malgré un paquet de différences pourtant extrêmement instructives pour comprendre ce qui a permis à l'un de durer 3 ou 4 fois plus longtemps que l'autre) est un indicateur de l'apauvrissement catastrophique de notre vision du monde.
Pour comprendre ce qui ne va pas, le seul moyen que je connaisse est de confronter des systèmes de pensée. Les détruire au profit d'un modèle unique, c'est la mort de la réflexion critique, et derrière... Bah, on verra bien, hein !
Bon allez, pour éviter le phénomène du "plus de 3 lignes à lire ça fait mal au crâne", voilà quelques sélections du reader's digest de ce que le très saint père disait à ses évèques en 1891, sorti tout droit du site du Vatican pour ceux qui soupçonneraient une manipulation communiste :
La soif d'innovations qui depuis longtemps s'est emparée des sociétés et les tient dans une agitation fiévreuse devait, tôt ou tard, passer des régions de la politique dans la sphère voisine de l'économie sociale. En effet, l'industrie s'est développée et ses méthodes se sont complètement renouvelées. Les rapports entre patrons et ouvriers se sont modifiés. La richesse a afflué entre les mains d'un petit nombre et la multitude a été laissée dans l'indigence. Les ouvriers ont conçu une opinion plus haute d'eux-mêmes et ont contracté entre eux une union plus intime. Tous ces faits, sans parler de la corruption des moeurs, ont eu pour résultat un redoutable conflit.
Partout, les esprits sont en suspens et dans une anxieuse attente, ce qui seul suffit à prouver combien de graves intérêts sont ici engagés. Cette situation préoccupe à la fois le génie des savants, la prudence des sages, les délibérations des réunions populaires, la perspicacité des législateurs et les conseils des gouvernants. En ce moment, il n'est pas de question qui tourmente davantage l'esprit humain.
Quoi qu'il en soit, Nous sommes persuadé, et tout le monde en convient, qu'il faut, par des mesures promptes et efficaces, venir en aide aux hommes des classes inférieures, attendu qu'ils sont pour la plupart dans une situation d'infortune et de misère imméritées.
Le dernier siècle a détruit, sans rien leur substituer, les corporations anciennes qui étaient pour eux une protection. Les sentiments religieux du passé ont disparu des lois et des institutions publiques et ainsi, peu à peu, les travailleurs isolés et sans défense se sont vu, avec le temps, livrer à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d'une concurrence effrénée. Une usure dévorante est venue accroître encore le mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Eglise, elle n'a cessé d'être pratiquée sous une autre forme par des hommes avides de gain et d'une insatiable cupidité. À tout cela, il faut ajouter la concentration entre les mains de quelques-uns de l'industrie et du commerce devenus le partage d'un petit nombre d'hommes opulents et de ploutocrates qui imposent ainsi un joug presque servile à l'infinie multitude des prolétaires.
A tout prix, il faut des hommes qui gouvernent, qui fassent des lois, qui rendent la justice, qui enfin de conseil ou d'autorité administrent les affaires de la paix et les choses de la guerre. A n'en pas douter, ces hommes doivent avoir la prééminence dans toute société et y tenir le premier rang, puisqu'ils travaillent directement au bien commun et d'une manière si excellente. Ceux au contraire qui s'appliquent aux choses de l'industrie ne peuvent concourir à ce bien commun, ni dans la même mesure, ni par les mêmes voies.
On prétend que le salaire, une fois librement consenti de part et d'autre, le patron en le payant remplit tous ses engagements et n'est plus tenu à rien. La justice se trouverait seulement lésée, si le patron refusait de tout solder, ou si l'ouvrier refusait d'achever tout son travail et de satisfaire à ses engagements. Dans ces cas, à l'exclusion de tout autre, le pouvoir public aurait à intervenir pour protéger le droit de chacun.
Que le patron et l'ouvrier fassent donc tant et de telles conventions qu'il leur plaira, qu'ils tombent d'accord notamment sur le chiffre du salaire. Au-dessus de leur libre volonté, il est une loi de justice naturelle plus élevée et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas être insuffisant à faire subsister l'ouvrier sobre et honnête. Si, contraint par la nécessité ou poussé par la crainte d'un mal plus grand, l'ouvrier accepte des conditions dures, que d'ailleurs il ne peut refuser parce qu'elles lui sont imposées par le patron ou par celui qui fait l'offre du travail, il subit une violence contre laquelle la justice proteste.
Voilà, j'espère avoir éveillé la curiosité de quelques-uns, maintenant bien sûr il vaut mieux tout lire : vous apprendrez ainsi que malgré ce que mes extraits pouvaient laisser croire, Léon n'était pas Marxiste, finalement

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