Jacquet recadre Domenech
Plus d'une semaine après la qualification de l'équipe de France pour la Coupe du monde 2010, la façon dont elle a obtenu son billet pour l'Afrique du Sud et l'attitude de Raymond Domenech continuent de provoquer des réactions. Dernière en date, celle d'Aimé Jacquet qui, dans une interview accordée à France Football , reproche au sélectionneur de ne s'être pas expliqué sur le non-match des Bleus et estime qu'il aurait dû être remplacé après l'Euro 2008.
Depuis qu'il a été sacré champion du monde avec l'équipe de France en 1998, Aimé Jacquet a accédé au statut d'icône intouchable, dont les paroles, en général assez rares dans la presse, sont d'évangile. Retiré des affaires depuis décembre 2006 lorsqu'il a rendu son tablier de DTN, repris en septembre 2007 par celui qu'il avait remplacé en novembre 1993 au poste de sélectionneur, Gérard Houllier, l'ancien sélectionneur des Bleus était jusqu'ici resté d'une grande prudence au moment d'évoquer le cas de Raymond Domenech, lui apportant même à plusieurs reprises son soutien public. Mais visiblement, l'intéressé n'a guère apprécié la dernière sortie de l'équipe de France, le mercredi 18 novembre face à l'Eire (1-1), synonyme malgré tout de qualification pour la Coupe du monde, tout comme il a peu goûté l'attitude de Raymond Domenech qui, tout à son "émotion" , a refusé quasi systématiquement de s'exprimer sur le contenu du match.
Du coup, Aimé Jacquet sort de sa réserve et ne se prive pas de faire connaître son incompréhension dans une interview accordée à l'édition de vendredi de France Football . Il attaque en se montrant étonné du nombre de "conneries de dites" après la pomémique née de la main de Thierry Henry, et "effaré par tous ces gens extérieurs au football, qui ont donné leur avis sans même savoir de quoi ils parlent au juste" , tout en reconnaissant une certaine gêne a posteriori: "Comme toute la France, j'ai sauté de joie quand les Bleus ont égalisé et à l'idée qu'ils iraient en Afrique du Sud. Après, quand j'ai vu les images, j'étais moins joyeux (...) Sur le deuxième contrôle de la main, on ne peut nier l'évidence: il y a vraiment chez Titi (Thierry Henry) intention de contrôler de la main et ça, c'est répréhensible avec quelques circonstances atténuantes."
Aimé Jacquet ne cherche pas à accabler son ancien joueur, qu'il a d'ailleurs lancé chez les Bleus, il envoie d'ailleurs un petit tacle à son ancien employeur, la Fédération française de football, coupable à ses yeux d'avoir tardé à le soutenir: "Je crois qu'il vaut mieux entourer les joueurs, il ne l'a pas été assez, à mon avis. A l'arrivée, je connais le gamin, il va traîner ça comme une chape de plomb. Il aurait mérité qu'on le soutienne davantage dans cette épreuve."
"Quatre ans, ça suffit !"
Après cette amuse-bouche, l'ancien entraîneur du grand Bordeaux des années 80 attaque le plat de résistance, Raymond Domenech: "Cet incident cache tout le reste et à mes yeux le plus important: les Bleus ont fait un mauvais match. Les Bleus n'ont quasiment eu aucune occasion de but, ils n'ont pas été à la hauteur.
Pourquoi ? Je n'en sais rien et je n'ai entendu aucune explication à ce sujet, la qualification a tout balayé. Je suis tout à fait conscient qu'un sélectionneur est jugé sur ses résultats et que s'il les obtient, s'il se qualifie, il doit continuer. Mais cela ne nous empêche pas de parler du jeu ou, en l'occurrence, du non-jeu."
Et Aimé Jacquet de placer Raymond Domenech devant ses responsabilités de sélectionneur: "Un patron doit donner des explications, même si ce n'est pas toujours simple. Il doit en fournir en interne, mais aussi en externe, aux médias, sinon on donne l'impression de ne pas se poser de questions, alors qu'il y en a plein qu'on se pose. C'est bien aussi pour des internationaux de voir un sélectionneur en aborder quelques-unes dans les journaux, ça libère les consciences. Il faudrait que Raymond fournisse des explications sur ce qui s'est passé et, de façon plus globale, sur ce qui se passe depuis l'Euro 2008. Même ses joueurs l'attendent. Moi, je le faisais, même quand les journaux me tombaient dessus." Et en la matière, Aimé Jacquet a été servi, lui qui aura essuyé un tir nourri de critiques avant la Coupe du monde 1998.
L'historique victoire des Bleus aura tout balayé sur son passage, lui conférant une image de vainqueur, que ne traîne pas encore un Raymond Domenech, qui, au contraire, reste sur une phase finale ratée, celle de l'Euro 2008. Pour Aimé Jacquet, cet échec aurait dû pousser la FFF à se séparer de l'actuel sélectionneur: "Sincèrement, je pense que lorsqu'on occupe un poste comme le sien, qui fut aussi le mien (1994-1998), quatre ans, ça suffit ! Car, après, c'est trop dur. Il y a trop de paramètres, qui vous empêchent de bien travailler. C'est ça que je reproche à la FFF: elle n'a pas compris le fond même du boulot d'un sélectionneur et aurait dû le protéger par-delà lui-même. C'est un travail que tu ne peux bien remplir que quatre ans car c'est un poste tellement exposé. Donc vous saisissez, après l'Euro 2008..." Un avis sans doute largement partagé en France, mais que, curieusement, Aimé Jacquet ne donne qu'en novembre 2009, une fois la qualification en poche. Quand on sait que le champion du monde fut celui qui fit pencher la balance du côté de Domenech quant au choix du successeur de Jacques Santini en 2004, on peut s'interroger sur son attitude après l'Euro 2008: s'est-il abstenu de donner son avis, qui aurait pu peser, ou avait-il alors perdu toute influence au sein de la FFF, dont il n'était plus salarié ? Toujours est-il que sa sortie affaiblit encore davantage un Raymond Domenech qui n'avait pas besoin de ça...