L'imagerie médicale menacée de paralysie mondiale
Le réacteur HFR est une petite installation nucléaire située à Petten, aux Pays-Bas. Il a été discrètement mis à l'arrêt, vendredi 19 février, pour des opérations de réparation et de maintenance.
Prévue pour durer six mois, cette mise au repos est passée relativement inaperçue. Elle n'en menace pas moins les approvisionnements mondiaux en molybdène 99 (99Mo), l'élément radioactif utilisé dans 80 % des protocoles d'imagerie médicale nucléaire. Au point que, sporadiquement au moins, de nombreux services hospitaliers devront trouver des alternatives à ces méthodes d'imagerie, renoncer à certains actes ou encore revoir leur organisation pour économiser une ressource devenue rare.
A lui seul, HFR produisait environ 30 % du 99 Mo utilisé dans le monde. Son arrêt s'ajoute à la panne, en mai 2009, du réacteur canadien NRU. Celui-ci, qui assurait en 2007 45 % de la production mondiale, pourrait redémarrer en avril. Mais il se dit aussi qu'il serait trop endommagé pour pouvoir être jamais remis en service... En définitive, avec les deux principaux producteurs de 99 Mo à l'arrêt, la capacité mondiale de production t est aujourd'hui amputée de près de 75 %.
Seuls 7 réacteurs dans le monde produisent du 99Mo, à partir d'uranium hautement enrichi. Outre les deux principaux à l'arrêt, un belge (BR2), un sud-africain (Safari) et un français (Osiris) approvisionnent le marché mondial. La production d'une installation australienne (Opale) est, quant à elle, exclusivement destinée au marché intérieur.
Quant au septième et dernier, il s'agit d'un petit réacteur de recherche polonais (Maria). Il a été mis en service vendredi 19 février. "Le point positif est qu'une coopération internationale s'est mise en place pour assurer au mieux la continuité de la production", dit en effet M. Dujardin. La totalité du 99Mo nouvellement produit en Pologne sera exportée vers les Etats-Unis, pour pallier les défaillances successives de ses deux fournisseurs - canadien et néerlandais.
Le 99Mo est nécessaire aux examens dits scintigraphiques, qui permettent de diagnostiquer des maladies osseuses (ostéonécroses, fractures, etc.), de nombreux cancers, et peuvent aussi assurer l'exploration fonctionnelle d'organes (coeur, poumon, etc.).
En Europe, une forte tension devrait s'installer sur ce marché en 2010. En particulier, selon les prévisions du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), au cours de "trois à quatre semaines difficiles et fin mai". Quant au continent américain, la pénurie promet d'y être plus sévère. "Il est certain qu'il y aura des moments très difficiles en 2010", confirme Thierry Dujardin, directeur adjoint de l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Selon Alain Alberman, responsable de projets commerciaux au CEA, les hôpitaux nord-américains, dont l'approvisionnement reposait sur le réacteur néerlandais arrêté, devraient connaître, dans l'année en cours, des réductions de livraison du radio-élément de 90 % à 95 %.
La situation est d'autant plus sérieuse que le stockage des matériaux radioactifs à faible durée de vie est impossible. Une fois produit, le 99 Mo doit être traité, purifié et utilisé (sous forme d'un autre isotope, le technétium 99m (99mTc), dans les dix jours environ. Après quoi il devient graduellement inerte, donc inutilisable...
Le réacteur de recherche français Osiris est lui aussi mis à contribution. Même si la production de radio-éléments à usage médical ne représente que 10 % de son activité. "Nous devions mener des opérations de mises à niveau de certains matériels et pour cela arrêter le réacteur en avril 2010, dit M. Alberman. Pour faire face à la situation, l'Autorité de sûreté nucléaire nous a permis de reporter l'arrêt au mois de juin, lorsque le réacteur canadien est censé avoir redémarré."
Cependant, un nouveau report au-delà de juin 2010 semble exclu. Le succès de la réparation en cours sur le réacteur canadien est donc cardinal. En attendant, les hôpitaux européens gèrent la pénurie " en économisant la ressource, c'est-à-dire en regroupant les rendez-vous de certains patients", dit M. Dujardin. "Aux Etats-Unis, on commence à utiliser des substituts comme le talium, qui produisent des images de moins bonne qualité et qui ont une durée de vie plus longue, donc des effets secondaires plus importants, ajoute-t-il. Le principal problème est que le modèle économique de cette activité n'est pas viable."
Le système actuel repose en effet sur des réacteurs nucléaires très coûteux, financés dans les années 1960 par les puissances publiques à des fins de recherche. Pierres angulaires du système, ces installations sont aujourd'hui en fin de vie, et les financements pour construire leurs successeurs sont difficiles à trouver, dit en substance M. Dujardin.
Dans les prochaines années, aucun scénario de retour à la normale n'est envisageable. "On devrait s'acheminer vers une production mondiale réduite de moitié par rapport à 2007 (dernière année avant la crise), estime M. Alberman. On pourra gérer cette pénurie en réorganisant les hôpitaux mais aussi, peut-être, en développant des caméras plus sensibles qui nécessitent moins de radioactivité pour fonctionner."
Stéphane Foucart