Des mails au compte-gouttes
Boire ou écrire… Pour éviter le drunk mailing, Google vient d’ajouter une nouvelle fonction sur sa messagerie, Gmail. Elle permet, après un petit test, de bloquer automatiquement les «messages du petit matin», ceux qui suivent une nuit bien arrosée, quand on se sent remonté contre le monde entier - ça tombe souvent sur les mêmes : sa femme, sa belle-mère ou son boss. Effectivement, certains peuvent se mordre le clavier de s’apercevoir qu’ils avaient envoyé en plein pic de gamma GT des trucs du genre : «Cher rédacteur en chef de la page Vous, ton incompétence est à la hauteur de ta niaiserie, comme le prouve cette commande d’article…»
La fonction «goggles» - de l’expression anglaise intraduisible beer goggles, effet déformant de la bière - permet aussi de prévenir de fâcheuses confusions dans la manipulation du carnet d’adresses : elle peut éviter d’envoyer à sa femme (maman@gmail.com) le discret courrier destiné à l’accorte serveuse du pub du coin de la rue (maggy-hot@gmail.com).
Heureusement, ce n’est qu’une option - disponible dans la version anglaise. Il faut aller l’activer dans «settings» puis «labs». Par défaut, le test ne s’active qu’aux heures supposées risquées : le vendredi et le samedi de 22 heures à 4 heures du matin. Par précaution, on peut élargir…
Test à jeun: «message envoyé»
J’envoie donc la première partie de l’article à mon ami redacteurenchefpagevous@liberation.fr. Je clique sur «envoyer» : l’envoi est bloqué, remplacé par une fenêtre qui me demande de résoudre cinq opérations aléatoires de calcul mental en moins d’une minute. Il n’y a qu’un ingénieur de Google pour penser que les connexions neuronales ont quelque chose à voir avec le calcul mental - pourquoi pas, pour rester dans l’esprit : «Citez trois bouquins de Charles Bukowski ou de Dashiell Hammet» ? Bref, je me remets au calcul mental, quelques décennies après mon CM2. 457 + 87, 292 - 13, 2 x 10 (ouf !), 110/10, 121/11. Moins de soixante secondes : «Your message has been sent.» Ça tombe bien, assez travaillé ce matin, il est 11 heures, le pub va ouvrir.
Test d’après bar: «try again»
Y’avait Maggy, elle m’a même offert la sixième pinte pour la route. J’envoie la note de frais. «Cher Edouard, suite à ma grande entêque, enQuêTe, pour la page Vous, sachant que la pinte équivaut à 568 ml et que le cours de la livre sterling est aujourd’hui de 1,26 euro, faites bosser vos comptables. Ouarf !» Touche «envoyer». Message bloqué. Calcul mental. Plus de soixante secondes : mes réflexes sont «un peu lents» me dit la machine. Et sa tante, elle est lente ? «Etes-vous sûr de vouloir envoyer ce message? Try again.» Un peu que je veux : c’est une histoire de sous. Je try again. Encore raté. «A l’eau et au lit», me conseille l’écran, qui bloque définitivement mon mail. La Moisson rouge, la Clé de verre, le Faucon maltais, j’aurais fait ça en dix secondes… Sûr. J’enverrai la note de frais par la poste. Elle est à côté du pub.
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