Environnement: la France torpille la protection des sols à Bruxelles
En proposant demain au groupe de travail ad hoc un projet de directive-cadre sur le sols qui n'a plus aucune des ambitions de santé publique et d'environnement du texte élaboré par la Commission européenne, Paris choisit de l'enterrer.
Alors qu'à Paris, on ergote sur la taxe pique-nique et autres bonus malus écologiques, la France s'apprête à torpiller une directive européenne fondamentale pour l'environnement: la directive-cadre sur la protection des sols, portée depuis 2006 par Bruxelles et adoptée en novembre 2007, en première lecture, par le Parlement européen
La proposition de texte que la France, présidente de l'Union européenne, va soumettre demain au groupe de travail qui se réunit à Bruxelles, et que Libération s'est procurée, est un texte vidé de sa substance et de son ambition initiales. Les Etats-membres y sont délivrés de toute contrainte, et leurs éventuelles actions en matière d'identification et de remise en état des sols pollués ou dégradés sont désormais laissées... à leur bonne volonté.
Un mileu biologique essentiel mais négligé
C'est d'autant plus dommage que les sols constituent le seul milieu biologique à n'être pas protégé par un cadre juridique spécifique européen, contrairement à l'eau ou à l'air. En France non plus, il n'existe pas de loi spécifique de protection des sols, à la différence de l'Allemagne par exemple.
C'est d'autant plus grave que la directive répondrait «à une urgence écologique», rappelle France Nature Environnement, fédération qui regroupe 3000 associations de protection de la nature. «Les sols constituent une ressource non renouvelable et un écosystème fondamental pour la biodiversité, dont dépendent notamment nos ressources en eau potable et alimentaires». Mais aussi la beauté et la vitalité de nos paysages.
Or la situation, si elle n'est pas désespérée, est carrément inquiétante: en 2006, un rapport de la Commission européenne indiquait que près de 50% des sols européens étaient affectés par la pollution, l'érosion, le tassement, l'urbanisation ou la désertification et qu'environ 45% avaient une faible teneur en matières organiques.
Selon les travaux de l'Agence européenne de l'environnement, il y aurait en Europe environ 3,5 milllions de sites potentiellement pollués dont au moins 1,5 million effectiment contaminés et à dépolluer.
Le texte, adopté après moult réunions en première lecture par le Parlement européen en novembre 2007, avait l'intérêt de prendre en compte les principales menaces : imperméabilisation, érosion, pertes de matières organiques, contamination par des activités polluantes (sites miniers, décharges, industries diverses...). En bref, tous les dégâts résultant d'une agriculture intensive, de l'urbanisation et de plus de deux cent ans d'industrialisation.
Obligation d'inventaire des sites et d'assainissement
En matière de contamination, le texte fixait trois grandes obligations à chaque Etat-membre: établir un inventaire de sites et sols potentiellement pollués par des activités anciennes ou actuelles (sur un calendrier de 25 ans pour les 27 Etats-membres); puis caractériser les risques par des analyses chimiques de la terre; et enfin remédier à ces risques, c'est à dire assainir les sites. La présidence portugaise de l'UE, très dynamique et exigeante sur le sujet, avait fait d’énormes efforts pour parvenir à un accord sur le texte.
Mais en décembre 2007, cinq pays votaient contre: l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, le Royaume Uni et la France. Une minorité de blocage suffisante pour parvenir au gel du texte.
Intense lobbying du Medef
«Paris se disait alors favorable à une directive sur le sujet, contrairement à l’Allemagne et à l’Autriche qui ne veulent pas d’une législation européenne sur les sols, mais en désaccord sur le contenu qu’elle ne trouvait pas assez ambitieux», se souvient un haut fonctionnaire européen.
Or, remarque-t-il aujourd'hui, «la version que la France a préparée depuis qu’elle a pris la présidence de l’Union européenne à l’été 2008, a perdu toute ambition ! C'est devenu un texte flou, on est passé du contraignant à l'optionnel. Par exemple, là où il était écrit: "Les Etats ont obligation de…"», le texte dit maintenant: "S’ils le jugent opportun, les Etats…"», souligne-t-il.
Alors, la France fait-elle preuve d’incohérence en soumettant demain un texte qui ne peut que faire échouer la négociation, face à des pays comme l’Espagne, le Portugal ou la Hongrie qui ont clairement manifesté leur souhait d’une législation exigeante? Pas si sûr.
A Bruxelles, on confie que si Angela Merkel est en proie au lobbying intensif des agriculteurs allemands qui ne veulent pas entendre parler de contrainte européenne sur leurs terres, Paris est clairement lui soumis au lobbying du Medef.
La preuve: dans un autre document qu'a pu consulter Libération, le dossier de présentation de la rencontre du conseil exécutif du Medef avec les Commissaires européens, qui s'est déroulée le 7 février dernier à Bruxelles, le Medef commente ainsi l'état du dossier «directive sur la protection des sols»:
«Grâce au lobbying inrtense de l’industrie (MEDEF) et de 5 pays (dont la France), aucun accord politique n’a pu être dégagé sur ce texte au Conseil. La Commission ne compte toutefois pas retirer sa proposition législative. La présidence slovène n’aurait pas l’intention d’avancer sur ce texte qui serait donc rediscuté sous la présidence française.»
Ainsi, lors du Grenelle de l’environnement, la question de la protection des sols et notamment le dossier des sites potentiellement contaminés ont été parmi les grands absents des groupes de travail. «C’est un dossier bien trop explosif en France», analyse Arnaud Gossement, porte-parole de France Nature Environnement.
En effet, selon le Bureau de recherches géologique et minières (BRGM), on recense en France environ 300.000 sites pollués. On imagine aisément l’ampleur de l’impact économique, pour les industriels, de l’application de la directive sur les sols…
Source :
Libération.fr