Suprêmement NTM !
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Pour leur premier concert depuis la séparation de NTM, il y a dix ans, Kool Shen et Joey Starr ont, hier soir, mis le feu à l'Olympia. Oubliés les dissensions et le chacun pour soi : la cohésion du duo et sa verve militante ont tout emporté lors d'un set court, mais dévastateur. La suite, en septembre, pour cinq dates (déjà complètes) à Bercy.
Les questions fusent depuis l’annonce de la reformation de NTM. Qu’est-ce qui pousse Kool Shen et Joey Starr à repartir au front ensemble après une séparation amère et un échange d’amabilités particulièrement salées sur disque et en public ? Est-ce le manque ou le feu sacré ? Le calcul ou le sens du défi ? Le désir de réussir un hold-up parfait ou la volonté de reprendre une place d’agitateurs dans un pays en plein blues ? D’une chaîne à l’autre, ou dans les colonnes de Libération qui les a nommés rédacteurs en chef d’un jour (pour un résultat peu probant), les deux pionniers de la dissidence rap à la Française ont joué au chat et à la souris avec les interviewers. Avec un poil d’humour glacé et quelques réponses fuyantes, ils refusent d’endosser le rôle de porte-parole des banlieues qu’on leur a taillé sur-mesure et répètent inlassablement depuis un mois que leur seule déclaration, ils la feront dans l’action, là où ils ont leur aise, sur scène et devant leur public. Et voilà, c’est joué. Kool Shen et Joey Starr ont donné hier soir dans un Olympia chauffé à blanc leur premier concert depuis dix ans. Et les questions sont balayées. Quand ils se tombent dans les bras à la fin du premier morceau (Seine-Saint-Denis Style) sous une ovation de tous les diables, il est clair – pour eux comme pour le public – que l’énergie scénique de NTM brûle tout sur son passage, la mélancolie, l’absence, les doutes, les dissensions, les souvenirs… Quand ils jouent en 2008 Le Monde de demain (écrit en en 1991), c’est ensemble, dos à dos ou côte à côte, dans l’union ou la friction, survoltés et soudés par l’actualité de leurs brûlots d’un autre temps : « Quelle chance, quelle chance d’habiter la France / Dans l’insouciance générale, les fléaux s’installent / normal / Dans mon quartier, la violence devient un acte trop banal / Alors va faire un tour dans les banlieues / Regarde ta jeunesse dans les yeux, toi qui commandes en haut lieu. »
Sur les billets distribués à quelques centaines de chanceux, le duo avait fait inscrire en lettres majuscules son nom des débuts SUPRÊME NTM. C’est loin d’être un détail. Dans le feu des retrouvailles, il n’est pas question de reprendre le fil de l’histoire mais d’en retrouver la source. Reconquérir l’énergie de la jeunesse et la fièvre d’un temps où le duo du 93 jouait les éclaireurs sur les territoires encore vierges du hip hop français. Joey Starr et Kool Shen sont avant toute chose les maîtres d’un genre, les pionniers français d’une musique fondée dans les cités du Bronx par une génération sacrifiée qui voulait signer son existence, faire entendre sa voix et exprimer son désarroi autrement que dans les combats de rue. « Il n’y avait pas de règle, pas de loi / Non, surtout pas de contrat / Pas de problème entre toi et moi (…) Naif, novice, mais tellement fier d’évoluer dans un système parallèle / Où les valeurs de base étaient pêle mêle / Peace, Unity, Love and Having Fun » (Tout n'est pas si facile) Depuis 1983, du graffiti au rap, NTM se déploie sur tous les registres de l’expression hip-hop qui est aussi un terrain de jeu, un ring, une arène où il faut raffermir sa technique en permanence pour ne pas se laisser griller par la foule de prétendants qui bat le cité des pavés. Ce sens du défi les ramène sur scène, non pas pour « remettre les pendules à l’heure » mais pour se frotter à la jeune génération, sentir sa force galvanisante. A l’Olympia, pour fêter leur retour, ils se paient le luxe d'inviter en première partie la star actuelle du rap français, Sefyu, impressionnante bête de scène, polo et gant blanc façon Orange mécanique. Le son est puissant et compact, abrasif et moderne. Flanqué de deux comparses qui jouent en virtuoses de l’onomatopée, de l’assonance et de la relance, le rappeur d'Aulnay-sous-Bois pourrait leur voler la vedette, mais il fait juste monter la température de quelques centaines de degrés et place la barre assez haut – là où ils la voulaient.
Après quelques tours de chauffe sur les plateaux télé, le show commence à ressembler à ce qu’il sera à Bercy (cinq concerts complets en septembre et vraisemblablement d’autres à venir). Entrée en scène en toute simplicité dans un vacarme d’enfer sur l’air de Carmina Burana et démarrage pied au plancher. Kool Shen, droit, tonique, ramassé, sert, comme au bon vieux temps, de colonne vertébrale et de pilier autour duquel tourne et vibrionne Joey Starr, toujours sur la jante dans sa partition de hurleur et d’ambianceur (« Sur la tête des oiseaux, à la MJC de Saint Denis, il y a 200 places et ils font plus de bruit que vous ! ») . Dans leur dos, les deux DJ maison déploient des constructions sonores minimales et impressionnantes, gonflées d’infrabasses et traversées de stridences électriques comme à l’époque de Run DMC et Public Enemy. Avec ce soupçon de furie punk qui a toujours apparenté le groupe de Paris Sous les Bombes au Clash de London Burning. Avant les répétitions de l’été, le set est assez court, tissé de tubes (Laisse pas traîner ton fils, Ma Benz, Tout n’est pas si facile…) et rythmé par les interventions flambantes de jeunes invités(le beat-boxek Eklips, Jeff Le Nerf, Nathy et Lord Kossity). Il n’est pas question de nouveaux morceaux mais d’un best of qui reprend les choses où ils les ont laissées. « Je ne sais pas si vous avez remarqué mais tout le monde est dans la rue ces jours-ci », lance Joey Starr. « Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce vous avez fait ? On s’est mobilisé pour que la jeunesse des quartiers s’inscrive sur les listes électorales et on dirait qu’ils ont oublié de voter ! » Bronca. « Non, non, sifflez pas ! Parmi vous, il y en a aussi qui n’ont pas voté ! Et on en est où aujourd’hui ? » Rachida Dati est citée au détour d’une impro. Pas Sarkozy. Mais à l’heure du rappel, l’Olympia est sens dessus dessous aux premiers accords de Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? « Où sont nos repères ? Qui sont nos modèles ? De toute une jeunesse vous avez brûlé les ailes / Brisé les rêves / Tari la sève (…) Mais vous savez que tout ça va finir mal / La guerre des mondes vous l’avez voulu la voilà…» A suivre.