Les logiciels P2P et leurs utilisateurs sont souvent mis à l'index par l'industrie du disque et du cinéma, en attendant celle de la presse et du livre. Pourtant, ces dernières semaines, les études minimisant l'impact du Peer-to-Peer sur les mauvaises ventes se multiplient.
Après l'étude de Capgemini dont nous vous parlions le 22 octobre dernier, et pour qui le principal fautif des mauvaises ventes n'était pas le P2P, mais les consommateurs eux-mêmes, qui achètent bêtement les morceaux qu'ils souhaitent réellement, une autre étude anglaise va plus loin, en concluant que le P2P n'a globalement aucun effet. Mieux encore, il pousserait à l'achat pour une certaine partie de la population.
Réalisée par Birgitte Andersen et Marion Frenz, deux chercheurs de l'université de Londres, pour l'Industrie du Canada, et donc sur la population canadienne (2100 Canadiens de plus de 15 ans dans le cas présent), l'étude s'est penchée sur leur façon de consommer, qu'ils soient internautes ou non, "pirates" ou non. Parmi les 2100 Canadiens sondés (francophones ou anglophones), 1 005 d'entre eux (soit 47,9 %) téléchargeaient sur le P2P, alors que 1095 (52,1 %) n'utilisaient jamais de tels logiciels.
L'étude a tenu à prendre en compte toutes les données possibles, à savoir si l'achat d'autres produits (DVD, jeux vidéo, cinéma, etc.) pouvait avoir un impact sur la consommation de musique, si le fait d'écouter un CD avant de l'acheter avait des conséquences négatives ou positives, si connaître parfaitement les rouages d'Internet pouvait jouer, ou encore l'impact des revenus du foyer sur l'acquisition de CD ou de musiques numériques.
Des conclusions très étonnantes
La conclusion la plus importante de l'étude a de quoi interloquer : « Dans l’ensemble, nous ne pouvons mettre au jour de relation directe entre le partage de fichiers poste à poste [P2P] et les ventes de CD au Canada. L’analyse de toute la population du Canada ne révèle aucune relation, positive ou négative, entre le nombre de fichiers téléchargés à partir de réseaux poste à poste [P2P] et le nombre de CD vendus. Autrement dit, nous ne trouvons aucun élément probant qui laisse croire que l’effet net du partage de fichiers poste à poste [P2P] sur les ventes de CD est soit positif, soit négatif, pour l’ensemble du Canada.
Cependant, notre analyse de la sous-population des Canadiens pratiquant le partage de fichiers poste à poste [P2P] donne à penser qu’il existe une forte relation positive entre le partage de fichiers poste à poste [P2P] et l’achat de CD. De fait, parmi les Canadiens qui s’y adonnent, le partage de fichiers poste à poste [P2P] stimule l’achat de CD. Nous estimons que le téléchargement poste à poste [P2P] d’un fichier par mois augmente les ventes de musique de 0,44 disque par année. »
Le P2P joue parfois en faveur des ventes de CD
Les relations entre le P2P et l'achat de morceaux numériques ne sont pas significatives selon l'étude, cependant, les « résultats montrent que les personnes qui s’adonnent au partage de fichiers poste à poste parce que la musique n’est offerte nulle part ailleurs ont également tendance à acheter davantage de CD (E.M. = 0,036; p < 0,01; voir le tableau 4.3). On peut interpréter ces résultats comme une preuve indirecte de la relation positive entre les achats de CD et le fait d’explorer le marché musical par la voie du partage de fichiers poste à poste. »
Outre le P2P, d'autres types de "piratages" ont aussi un effet positif sur les ventes de musiques. Les « résultats indiquent également qu’il existe une corrélation positive et statistiquement significative entre l’extraction de données d’un CD et les achats de CD dans le sous-groupe des personnes qui partagent des fichiers poste à poste et dans l’ensemble du groupe. Pour l’ensemble de la population, il existe également un effet positif et statistiquement significatif des téléchargements effectués par l’entremise de sites Web privés sur les achats de CD (voir le tableau 4.1). »
Quelques côtés négatifs malgré tout
« Comme nous l’avons indiqué précédemment, les personnes qui prennent part au partage de fichiers poste à poste parce qu’elles considèrent que les albums CD sont trop chers achètent également moins de CD que les autres. Dans ce cas, la valeur de l’estimation évaluée à la valeur moyenne de la variable, soit 40 p. 100 (voir l’annexe 3) indique que les personnes qui ont augmenté de 1 p. 100 le nombre de fichiers partagés de poste à poste (c.-à-d. téléchargés à partir de réseaux poste à poste) car elles considéraient qu’un album était trop cher ont réduit de 3,2 p. 100 leurs achats de CD. »
L'étude continue dans le côté négatif en rappelant que « le nombre de personnes qui copient des fichiers MP3 a un effet négatif statistiquement significatif sur les achats de CD, comme le montrent les résultats du tableau 4.1. »
Surprise : les autres produits culturels ne nuisent pas au CD !
Contre toute attente, l'essor du marché du DVD et du jeu vidéo n'a pas d'impact négatif sur le CD, bien au contraire !
« Les résultats du tableau 4.1 semblent clairement indiquer que les personnes qui achètent beaucoup de DVD, de jeux vidéo, de billets de cinéma et de billets de concert achètent également un grand nombre d’albums CD. Le même constat est fait lorsque nous nous penchons uniquement sur les personnes qui téléchargent des fichiers poste à poste (bien que cela ne soit pas significatif dans le cas des DVD).
L’effet complémentaire des produits de divertissement vient également contredire l’argument communément admis selon lequel les facteurs de prix et de temps font que les produits de divertissements sont des substituts entre eux. Nos résultats indiquent plutôt que les personnes qui ont un intérêt pour les produits de divertissement (comme la musique) ont aussi un intérêt pour les DVD, les concerts, le cinéma/les films et les jeux vidéo. Par conséquent, la musique et le divertissement constituent le style de vie de certains groupes dans la société. »
Les internautes préfèrent acheter de la musique numérique
Les personnes ayant des connaissances plus élevées que la moyenne au sujet d'Internet « étaient plus susceptibles d’acheter des MP3 que le groupe de référence, soit les personnes n’étant pas qualifiées du tout. Quant aux ventes de CD (voir le tableau 4.1), nous constatons qu’il existe une relation négative entre le niveau de compétences et le nombre d’albums de CD achetés. »
Enfin, concernant les revenus des ménages, cela n'a que peu d'incidence sur l'achat de musique, ce qui là encore peut surprendre.