Bonjour,
Je ne sais pas si c'est le bon endroit pour poster ça mais ci-joint un article de libération qui vaut son pesant de cacahuètes !
Dix millions de Français, environ un foyer sur quatre, téléchargent illégalement sur Internet. Si l'Assemblée nationale épousait strictement les contours de la société française, une grosse centaine de députés se livreraient à des activités que la loi réprouve. Nombre d'entre eux assurent que ce n'est pas le cas admettons-en l'augure. Pendant la discussion sur la loi dite «DADVSI» (droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information), Libération a interrogé sur leurs pratiques de l'Internet quelques-uns des trente députés les plus assidus lors du débat qui fut aussi le premier débat interactif de l'histoire parlementaire.
«Moi, je ne télécharge pas», tranche Laurent Hénart (37 ans, UMP, Meurthe-et-Moselle). Ses filles non plus, elles n'ont que 10 et 3 ans. «Je ne télécharge pas et je n'ai pas de lecteur MP3», dit aussi Martine Billard (55 ans, Vert, Paris), qui assure «préférer écouter un CD dans un fauteuil confortable». «Je reste attaché au plaisir d'acheter un support physique, CD ou DVD», renchérit Patrick Bloche (49 ans, PS, Paris), pourtant grand pourfendeur du projet gouvernemental. «Je n'ai pas le temps», affirme Alain Suguenot (54 ans, UMP, Saône-et-Loire), qui concède que ses enfants (18 et 21 ans) «ont déjà dû le faire, comme 80 % des internautes aujourd'hui». C'est comme chez les Bayrou : François (54 ans, UDF, Pyrénées-Atlantiques) ne pratique pas, mais sa progéniture... «je pense, oui. Avec tout ce qu'ils ont comme compil', j'imagine qu'ils téléchargent.» «Mais ils achètent des CD, aussi», s'empresse de préciser le patron de l'UDF. Les plus grands (21 et 23 ans) des cinq enfants de Dominique Richard (51 ans, UMP, Maine-et-Loire) ont promis à leur père qu'une fois la loi votée ils iraient «sur les offres de téléchargement légales» et ceux de Richard Cazenave (30 et 25 ans) sont «conscients que le droit d'auteur se respecte». Comme leur père.
«Ni voyous ni délinquants»
En revanche, chez Christian Paul (45 ans, PS, Nièvre), «on a légalisé le P2P dans le cercle familial». Concrètement ? «Nous allons au cinéma, nous achetons des DVD (sur fnac.com...), mais entre la sortie en salles et la sortie des DVD, mes deux filles (13 ans et demi, et 10 ans et demi) téléchargent les Inconnus et Harry Potter qu'elles regardent avec leur petit frère (6 ans et demi).... On est une famille assez emblématique de la cohabitation des modèles.» Quant à Henri Emmanuelli (60 ans, PS, Landes), il a revendiqué le record de titres téléchargés sur son MP3... au point de provoquer l'émotion de son entourage : «Ils vont nous le mettre en prison !...»
«Pour une fois, dans l'hémicycle, on avait affaire à une délinquance qui touche les enfants de députés», sourit la Verte Martine Billard. Branle-bas de combat. Jusque dans les rangs des adversaires les plus résolus du peer to peer, les défenseurs les plus acharnés du droit d'auteur, sommeillent des parents et des grands-parents au coeur tendre. En témoignent, par exemple, plusieurs interventions du président du groupe UMP, Bernard Accoyer (60 ans, Haute-Savoie) : «Non, nos enfants ou nos petits-enfants qui, occasionnellement, téléchargent une chanson ou un morceau sur Internet, ne sont ni des voyous ni des délinquants qu'il conviendrait de traquer, d'appréhender et de sanctionner» Et d'ajouter : «La France est confrontée à suffisamment de délinquance et de violence pour que nous ne nous trompions pas de cible ni de combat.»
Mais il n'y a pas que la famille dans la vie. Les liens du sang peuvent attendrir la représentation nationale, les lobbies veillent à ce que les députés n'en oublient pas les intérêts de l'industrie culturelle. Les lobbies, donc, ont été omniprésents pendant toute la discussion parlementaire, tentant de reprendre les choses en main. Au mois de décembre, à l'invitation du ministre de la Culture et de la communication, la Fnac et Virgin procédaient à des démonstrations de leurs plateformes commerciales à proximité de l'hémicycle. Des tracts d'un goût douteux ont circulé sur le Net, comme ce faux Top 10 baptisé «Les défaites de la musique (palmarès 2006)», accordant, entre autres, un «prix d'interprétation féminine» à Christine Boutin (62 ans, UMP, Yvelines), car «des dossiers, elle ne connaît que les chaises». La gauche a attribué le pamphlet non signé à la Sacem (Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique). Pour être l'auteur de la (défunte) licence globale, le socialiste Patrick Bloche a été menacé, toujours sur le Web, de la candidature concurrente d'un chanteur (Patrick Bruel) dans sa circonscription en 2007. Alain Suguenot, rebelle UMP et contradicteur du texte gouvernemental, est convaincu que les Rencontres cinématographiques de Beaune, organisées chaque année en octobre par l'ARP (Société civile des auteurs réalisateurs producteurs) dans la ville dont il est maire, sont menacées de disparition : «C'est quasiment fait», dit-il.
Déchaînement sur les forums
La discussion sur le projet de loi DADVSI touche à sa fin et les internautes, qui comprennent que la messe est dite, se déchaînent sur les forums. Laurent Wauquiez, le benjamin de l'Assemblée nationale, avait pris l'habitude de venir chater chaque soir de débat sur l'un des plus actifs, Framagora. Cette nuit-là, la rancoeur déborde. «Allez, au revoir M. Wauquiez et bonne chance. Pensez à votre reconversion.» 17 mars, 00 h 28, signé «morgoth». «Maintenant, il est temps pour moi de prendre le maquis, puisque mon pays prend l'eau, me fait basculer dans la clandestinité et me transforme en criminel.» 17 mars 00 h 34, «SixK».
Des milliers d'internautes ont suivi en direct sur le site de l'Assemblée nationale les longues séances du débat DADVCI, jusqu'à 17 000 connexions en simultané. Ils ont réagi en temps réel, chaque élu trouvant dans l'ordinateur de son bureau, à chacune des interruptions de séance, le lot de messages qui lui était destiné : «Wauquiez, sur cet amendement tu es encore à côté de la plaque ! Fallait pas sous-amender fallait voter contre !!!!» (16 mars, 23 h 59, Framagora, signé «jahrynk»). Ils ont tenté de comprendre l'art de l'amendement : «Comment est-il possible de voter l'amendement 272 si l'article 1er est rejeté, puisque [...] l'amendement 272 est rattaché à l'article 1 ?» (mail adressé à Martine Billard). Sur leurs forums, ils ont répercuté le best of des formules les plus classe (du genre : «Supprimer les libertés des internautes revient à essayer d'enfiler un string à une baleine», Henri Emmanuelli). Ils ont découvert un monde politique qu'ils ne connaissaient pas, ou mal. Quand Laurent Wauquiez s'est inscrit sur Framagora, ils se sont méfiés. Le député s'est rebiffé : «Ce qui me consterne, c'est de voir les limites de votre ouverture et de la démocratie électronique chez certains.» «Les gars, il a pas tort, pour une fois qu'un élu vient mouiller sa chemise sur un forum à accès direct, faudrait voir à l'accueillir un peu mieux», a répondu «drkarma».
En revanche, les efforts du jeune député pour expliquer la complexité de son travail sont restés vains : «Il est impossible pour un député de maîtriser les sujets techniques dans tous les détails [...] Tu as raison, c'est un des grands prob [sic] de la démocratie française, on fait voter des lois trop techniques, mais il ne t'a pas échappé que c'est le gouvernement qui les propose et que le pouvoir du Parlement est très limité», a plaidé l'élu. «Alors si le sujet est si technique que ça il doit y avoir un moyen de le traiter autrement pour permettre à des experts de donner leur avis (éclairé) et ainsi permettre aux législateurs (devenus éclairés) de légiférer», a répliqué, imperturbable, «goldoraf».
Avec Internet, chacun peut voir qui est ou n'est pas dans l'hémicycle, et qui dit quoi. «Mais nous devons légiférer pour l'intérêt général et pas pour une catégorie d'électeurs en particulier», s'inquiète Richard Cazenave, pratiquant des logiciels libres. «Ce n'est pas parce que je reçois une dizaine de mails qui vont tous dans le même sens que je vais les suivre», poursuit Dominique Richard, qui se méfie de ses collègues «qui reprennent les arguments des internautes et transforment l'Assemblée en café du commerce».
L'électeur et l'internaute
Les députés favorables à la cause des internautes ont remporté un succès d'estime. Ils ont même, parfois, réussi à changer le regard de leurs correspondants sur le monde politique : «Je tenais d'abord à vous féliciter pour votre connaissance qui m'a fortement étonnée pour un politicien je dois avouer, de tout ce qui touche l'Internet et l'informatique en général» (mail à Patrick Bloche). «Malgré le résultat presque couru d'avance, je suis heureux de voir des députés présents qui travaillent et qui s'impliquent. Cela fait vraiment plaisir à voir» (un informaticien d'Aix-en-Provence à Patrick Bloche). «Madame Billard, j'adore vous écouter [...] et l'on voit bien, nous, internautes, que vous maîtrisez le sujet. Madame Billard, continuez comme ça, vous êtes un député en or» (message de Karim, 21 ans).
L'électeur n'est jamais loin de l'internaute. L'UMP en prend pour son grade, d'autres peuvent espérer en récolter les bénéfices : «Je saurai m'en souvenir lors des échéances électorales à venir», écrit, pour le féliciter, un correspondant à François Bayrou, ami des internautes et des logiciels libres. «Je n'aurais jamais pensé soutenir un jour des députés de gauche, mais l'action de la droite dans cette affaire m'a proprement scandalisé et pour la première fois mon vote aussi minime soit-il ne sera pas pour eux lors des prochaines élections», affirme «Alexandre» sur le blog de Christian Paul.
Au socialiste Didier Mathus (53 ans, Saône-et-Loire), la passion des échanges rappelle la vigueur des discussions préalables au référendum sur la Constitution européenne : «Les internautes estiment que des puissants veulent leur dicter leur loi. Le projet a été perçu comme la remise en cause du droit au progrès technologique.» Dans tous les textes qui touchent aux libertés et à la vie privée «le rapport à Big Brother», dit Richard Cazenave , la société civile s'invite dans le débat et brouille les clivages droite-gauche. Celui-là a aussi mélangé bobos de Paris et ruraux de Saône-et-Loire.