Citation
TOKYO ENVOYÉ SPÉCIAL
Minoru Kawasaki s'amuse de la résonance que donne à l'un de ses derniers films, Le monde s'écroule, sauf le Japon, l'actualité économique désastreuse en provenance des Etats-Unis : seul pays rescapé d'un cataclysme qui engloutit les continents les uns après les autres, l'Archipel accueille, avec réticence, des millions de réfugiés étrangers. Incapables de s'adapter aux us et coutumes locaux, ceux-ci finissent sauvages et SDF, prétexte pour le réalisateur de tourner en dérision les complexes et les réactions xénophobes des Japonais vis-à-vis des gaijin (étrangers), mais aussi les préjugés qu'ont ces derniers sur le Japon.
Dans la cartographie de la pop culture nipponne, Minoru Kawasaki fait, dit-il, des "choses très simples", des comédies tournées en une semaine à peine pour trois fois rien, avec des comédiens parfois peu inspirés. "Je me situe à l'opposé d'autres oeuvres pour otakus (fanatiques) qui privilégient à l'extrême la complication de l'intrigue et les images de synthèse. Les réalisateurs de cinéma me regardent de haut. J'ai envie d'aller là où les autres ne vont pas. Mes films, ce sont des mangas", nous raconte-t-il en marge de CoFesta, une série de festivals et de salons organisés à Tokyo en octobre autour de la promotion des "contenus" japonais.
Il y a quelques mois, Minoru Kawasaki fut pour la première fois de sa carrière produit par la major Shochiku avec un budget conséquent pour mettre en scène l'attaque du sommet du G8 à Hokkaido par un poulet géant - avec les mêmes effets spéciaux grossiers que ses comédies précédentes, et un "monstre" dont même un enfant en bas âge comprendrait qu'il est en latex.
Les délires visuels de Minoru Kawasaki ne dénotent plus au Japon : l'univers du manga est devenu une source majeure d'inspiration pour le cinéma japonais. Dans l'esprit, mais aussi la lettre : les films adaptés de mangas ont tout simplement pris d'assaut les salles obscures, depuis le succès de Death Note en 2006 - un manga adapté au cinéma par Shusuke Kaneko -, au point que, raconte un professionnel japonais, "les producteurs au Japon ne lisent plus de scénarios, ils passent leur temps à lire des mangas".
Ainsi de la maison Toho, qui domine le box-office local grâce à Detroit Metal City, l'histoire d'un jeune Japonais qui rêve d'être un chanteur folk - mais devient bien malgré lui le leader d'un groupe de de death metal - rock énervé aux idéaux sombres - à faire pâlir d'envie Marylin Manson. Le film est tiré d'un manga de Kiminori Wakasugi. Il y a quelques mois, c'est l'adaptation de XXth Century Boys, la série fleuve de Naoki Urasawa, qui attirait les spectateurs dans les salles obscures.
La chaîne TBS s'apprête à sortir un film adapté d'Ikigami, un manga de 2005 qui raconte l'histoire d'une société où un individu sur mille est programmé pour mourir le jour de sa vingt-cinquième année. Le personnage principal est un fonctionnaire du ministère de la santé chargé de délivrer les ikegami, les lettres qui annoncent à chacune des victimes leur mort imminente, et leur autorise 24 heures de liberté absolue.
"Si les mangas jouent un tel rôle dans le cinéma, c'est d'abord pour des raisons économiques. Un manga a un marché déjà constitué de plusieurs millions de lecteurs", estime Fusanosuke Natsume, qui enseigne la culture du manga dans un tout nouveau département de l'université Gakushuin à Tokyo. La production de films tirés de mangas fonctionne selon un système de "comités de production", qui associent chaînes télé, studios et éditeurs, une formule inspirée de la production de dessins animés dans les années 1980. Ce modèle économique, devenu dominant au Japon, expliquerait en grande partie le rebond spectaculaire de la production cinématographique depuis 2000 : l'Archipel a produit plus de 400 films en 2007 pour une part de marché de près de 47 %.
"IMAGINAIRE DE SUBSTITUTION"
Le manga est loin de n'intéresser que les projets à vocation commerciale : dans Osaka Hamlet, présenté au Festival de Tokyo et tiré d'un manga du même nom, Fujiro Mitsuishi croque le portait d'une famille délicieusement atypique, menée par une généreuse hôtesse de bar quinquagénaire. Les trois enfants, tous de père différent, sont confrontés à des expériences décisives : l'aîné tombe amoureux d'une professeur de lycée particulièrement jolie, mais qui retombe en enfance dans l'intimité. Le cadet, qui joue les voyous, découvre Hamlet de Shakespeare. Le benjamin décide qu'il sera une fille.
"Il y a tellement de mangas que les auteurs doivent développer de très bonnes techniques narratives pour captiver leurs lecteurs. Et comme le manga peut traiter de n'importe quoi, ça a produit une très grande variation dans les thèmes, bien plus que dans la littérature, qui semble saturée, alors que le manga est en devenir", explique le critique Shohei Chujo. Il peine, dit-il, à dénicher trois nouveaux romans pour ses chroniques littéraires mensuelles, alors qu'il passe en revue chaque semaine près de dix nouveaux mangas.
Favorisés par une sorte de darwinisme culturel, les mangas seraient devenus naturellement au Japon un nouvel univers de référence pour le cinéma : "Il y a une telle quantité de gens qui lisent des mangas que ça crée une communauté, une manière de regarder le monde. C'est comme si une sorte de "réalisme manga" dominait aujourd'hui, bien différent du réalisme plus naturaliste qui a inspiré beaucoup de films autrefois", estime le professeur Natsume. "C'est comme un imaginaire de substitution."
Brice Pedroletti
Minoru Kawasaki s'amuse de la résonance que donne à l'un de ses derniers films, Le monde s'écroule, sauf le Japon, l'actualité économique désastreuse en provenance des Etats-Unis : seul pays rescapé d'un cataclysme qui engloutit les continents les uns après les autres, l'Archipel accueille, avec réticence, des millions de réfugiés étrangers. Incapables de s'adapter aux us et coutumes locaux, ceux-ci finissent sauvages et SDF, prétexte pour le réalisateur de tourner en dérision les complexes et les réactions xénophobes des Japonais vis-à-vis des gaijin (étrangers), mais aussi les préjugés qu'ont ces derniers sur le Japon.
Dans la cartographie de la pop culture nipponne, Minoru Kawasaki fait, dit-il, des "choses très simples", des comédies tournées en une semaine à peine pour trois fois rien, avec des comédiens parfois peu inspirés. "Je me situe à l'opposé d'autres oeuvres pour otakus (fanatiques) qui privilégient à l'extrême la complication de l'intrigue et les images de synthèse. Les réalisateurs de cinéma me regardent de haut. J'ai envie d'aller là où les autres ne vont pas. Mes films, ce sont des mangas", nous raconte-t-il en marge de CoFesta, une série de festivals et de salons organisés à Tokyo en octobre autour de la promotion des "contenus" japonais.
Il y a quelques mois, Minoru Kawasaki fut pour la première fois de sa carrière produit par la major Shochiku avec un budget conséquent pour mettre en scène l'attaque du sommet du G8 à Hokkaido par un poulet géant - avec les mêmes effets spéciaux grossiers que ses comédies précédentes, et un "monstre" dont même un enfant en bas âge comprendrait qu'il est en latex.
Les délires visuels de Minoru Kawasaki ne dénotent plus au Japon : l'univers du manga est devenu une source majeure d'inspiration pour le cinéma japonais. Dans l'esprit, mais aussi la lettre : les films adaptés de mangas ont tout simplement pris d'assaut les salles obscures, depuis le succès de Death Note en 2006 - un manga adapté au cinéma par Shusuke Kaneko -, au point que, raconte un professionnel japonais, "les producteurs au Japon ne lisent plus de scénarios, ils passent leur temps à lire des mangas".
Ainsi de la maison Toho, qui domine le box-office local grâce à Detroit Metal City, l'histoire d'un jeune Japonais qui rêve d'être un chanteur folk - mais devient bien malgré lui le leader d'un groupe de de death metal - rock énervé aux idéaux sombres - à faire pâlir d'envie Marylin Manson. Le film est tiré d'un manga de Kiminori Wakasugi. Il y a quelques mois, c'est l'adaptation de XXth Century Boys, la série fleuve de Naoki Urasawa, qui attirait les spectateurs dans les salles obscures.
La chaîne TBS s'apprête à sortir un film adapté d'Ikigami, un manga de 2005 qui raconte l'histoire d'une société où un individu sur mille est programmé pour mourir le jour de sa vingt-cinquième année. Le personnage principal est un fonctionnaire du ministère de la santé chargé de délivrer les ikegami, les lettres qui annoncent à chacune des victimes leur mort imminente, et leur autorise 24 heures de liberté absolue.
"Si les mangas jouent un tel rôle dans le cinéma, c'est d'abord pour des raisons économiques. Un manga a un marché déjà constitué de plusieurs millions de lecteurs", estime Fusanosuke Natsume, qui enseigne la culture du manga dans un tout nouveau département de l'université Gakushuin à Tokyo. La production de films tirés de mangas fonctionne selon un système de "comités de production", qui associent chaînes télé, studios et éditeurs, une formule inspirée de la production de dessins animés dans les années 1980. Ce modèle économique, devenu dominant au Japon, expliquerait en grande partie le rebond spectaculaire de la production cinématographique depuis 2000 : l'Archipel a produit plus de 400 films en 2007 pour une part de marché de près de 47 %.
"IMAGINAIRE DE SUBSTITUTION"
Le manga est loin de n'intéresser que les projets à vocation commerciale : dans Osaka Hamlet, présenté au Festival de Tokyo et tiré d'un manga du même nom, Fujiro Mitsuishi croque le portait d'une famille délicieusement atypique, menée par une généreuse hôtesse de bar quinquagénaire. Les trois enfants, tous de père différent, sont confrontés à des expériences décisives : l'aîné tombe amoureux d'une professeur de lycée particulièrement jolie, mais qui retombe en enfance dans l'intimité. Le cadet, qui joue les voyous, découvre Hamlet de Shakespeare. Le benjamin décide qu'il sera une fille.
"Il y a tellement de mangas que les auteurs doivent développer de très bonnes techniques narratives pour captiver leurs lecteurs. Et comme le manga peut traiter de n'importe quoi, ça a produit une très grande variation dans les thèmes, bien plus que dans la littérature, qui semble saturée, alors que le manga est en devenir", explique le critique Shohei Chujo. Il peine, dit-il, à dénicher trois nouveaux romans pour ses chroniques littéraires mensuelles, alors qu'il passe en revue chaque semaine près de dix nouveaux mangas.
Favorisés par une sorte de darwinisme culturel, les mangas seraient devenus naturellement au Japon un nouvel univers de référence pour le cinéma : "Il y a une telle quantité de gens qui lisent des mangas que ça crée une communauté, une manière de regarder le monde. C'est comme si une sorte de "réalisme manga" dominait aujourd'hui, bien différent du réalisme plus naturaliste qui a inspiré beaucoup de films autrefois", estime le professeur Natsume. "C'est comme un imaginaire de substitution."
Brice Pedroletti
Je ne sais pas quoi est le plus déprimant... qu'ils aient envoyé qqun au Japon pour ça ou que l'on sente encore autant de condescence quand la "grande presse" parle des manga.