On se calme, diablophil
Je reprends (calmement, donc) :
1) j'ai bien précisé critère objectif et scientifique, dans le sens que même si certaines différences entre homme et animal sont intuitivement évidentes, il n'est pas facile de définir un critère scientifique pour tracer la limite entre les deux. Si on reprend les critères "spécifiquement humains" cités dans ce thread, soit il est possible d'exhiber un contre exemple (le pouce opposable chez les singes) soit on ne peut pas trouver de critère objectif qui prouve scientifiquement cette spécificité (un chien qui répond à son nom possède-t-il un rudiment de language ? Une poule qui reconnaît un individu donné de son poulailler à partir d'une photo a-t-elle une capacité d'inférence abstraite ? Une perruche qui fait la coquette devant son miroir a-t-elle conscience de soi en tant qu'individu ? Le chat qui saute sur la page que son maître est en train de lire a-t-il "compris" comment attirer son attention ? Le chien qui hurle à la mort sur la tombe de son maître a-t-il une conscience de la mort ?).
2) je ne veux rien faire croire du tout. Je donne juste un avis. Comme exemple d'une autre manière de voir les choses, les religions animistes (par exemple le shintoïsme japonais) attribuent une grande importance à des manifestations naturelles au sens le plus large (paysage, rocher, maison, animal, individus). C'est un autre système de valeurs qui ne peut pas, à mon avis, être jugé objectivement supérieur ou inférieur à, mettons, la vision judéo-chrétienne qui place l'homme au sommet de la création. C'est pas que je sois shintoïste d'ailleurs, mais je vois rien qui m'autorise (moralement) à considérer cette façon d'envisager le monde comme spécialement meilleure ou pire que celle qui prévaud en occident.
Pour ce qui est de la pensée rationnelle, et cette fois je donne effectivement mon avis, je crois qu'elle participe à notre manière d'apréhender le monde, en particulier dans la pensée occidentale et spécialement en France (toujours ce bon René et de ses potes des Lumières
), mais qu'elle n'est qu'un élément parmi d'autres du processus de pensée ou de conscience au sens large. Je ne vois aucune raison d'effectuer un classement de valeur entre les différentes manifestation de l'activité du cerveau, ça reviendrait à comparer des choux et des carottes. Tout au plus peut-on constater que la pensée rationnelle (ainsi d'ailleurs que la pensée abstraite) ne semblent pas se manifester chez d'autres espèces que l'être humain, en tous cas à la même échelle.
3) Comme je le disais encore tout à l'heure à Bubulle mon poisson rouge, je ne pense pas qu'il n'y ait aucune différence entre les animaux et nous (encore que les théories de Bubulle à ce sujet soient assez intéressantes)... M'enfin c'est vrai que depuis que j'ai renié ma qualité d'être humain, ça va carrément mieux : plus besoin de faire la vaisselle ni d'aller lécher les bottes de mon patron pour une augmentation, quelle libération ! Miaou !
4) bah on a pas dû voir les même films alors... Non plus sérieusement, l'exemple me paraît discutable, parce que le simple fait d'être devant un cinéma à regarder les affiches suppose que le futur spectateur a déjà une idée de ce que c'est que le cinéma, de quel genre de film il préfère, etc. Je vois mal comment on peut prendre ça comme un exemple de choix opéré hors de toute influence, vu que le sentiment esthétique est quand même principalement d'origine culturelle (enfin c'est mon avis, je n'ai pas l'intention de lancer un autre débat là-dessus), et se situe donc à peu près à l'opposé de l'objectivité.
Je dirais que le choix du spectateur serait, selon moi, dans une large mesure le produit d'un conditionnement (social, culturel, etc.), assez peu différent dans le principe de celui d'un chat qui finirait, à force de s'être gavé de bouffe à chat et de s'être fait taper dessus quand il essayait de dépouiller les poubelles, par préférer une gamelle de pâtée à quelques arrêtes de poisson ou une bonne vieille souris
.
Dire que tous les choix opérés par un animal sont motivés par l'instinct est par contre carrément faux (d'un point de vue strictement scientifique, pour le coup) : il n'y a rien de plus banal que la suppression d'un comportement instinctif chez un animal par le conditionnement. Sans même aller chercher Pavlov, si un chien ne fait plus pipi sur le tapis du salon et n'éventre plus les poubelles, c'est parce qu'on lui a
appris à ne pas le faire.
Bref, tout ça pour en venir au fait que partir de l'hypothèse qu'il existe une objectivité absolue pour bâtir une définition du libre arbitre, ça ne me convainc pas. Enfin disons que cette définition du libre arbitre est extrêmement formelle, abstraite et théorique. C'est donc un bon point de départ pour placer le cadre d'un échange d'idées, mais il me semble assez vain de la prendre au pied de la lettre pour en déduire des démonstrations ou des conclusions pratiques.
L'histoire de l'âne, justement, me semble finalement assez faible, et effectivement assez proche du sophisme (apès tout Jean Buridan était un philosophe scholastique et un logicien, il avait quand même toutes les chances de finir par s'enfermer dans des modèles si abstraits et formels qu'ils finissaient par être complètement stériles).
Comme dans tout modèle abstrait, cette histoire d'âne élimine certains paramètres pour obtenir un énoncé manipulable. Mais dans ce cas, il passe sous silence des points qui me semblent fondamentaux quand on parle d'un sujet aussi infiniment complexe que la conscience. Vouloir appliquer directement ce modèle pour en déduire des conclusions immédiates sur le libre arbitre me semble dans ces conditions assez absurde.
M'enfin après tout, c'est ce que font quotidiennement ces crétins d'économistes "scientifiques" avec leur modèles idiots de théories des jeux et de groupes d'individus cherchant à optimiser leur profit, comme quoi l'école scholastique a encore de beaux jours devant elle (comme si elle n'avait pas fait assez de mal comme ça...). Désolé de vous embêter avec mes disgressions obsessionnelles, mais tapez donc "âne de Buridan" sous google et vous tombez sur "sociologie du packaging, ou l'âne de Buridan face au marché". Voilà qui résume assez bien le peu de cas que je fais de ce genre de modèles, à voir qui s'en nourit...
Personnellement je préfère me demander, comme dans mon post précédent, jusqu'à quel point cette définition reste applicable quand on prend en compte le problème de la participation de l'observateur à l'expérience, la part de subjectivité incontournable dans le processus de conscience, les effets des pulsions inconscientes, de l'instinct, etc.
Et pour finir sur une considération morale, si je préfère chercher des points communs entre l'homme et l'animal plutôt que des critères de différence et de supériorité, ce n'est pas spécialement dans l'espoir de me mettre un jour à parler de Kant avec mon chat ni pour préparer et justifier ma régression au stade d'une bête brute. C'est juste (en gros) pour désamorcer le discours - judéo-chrétien en particulier - qui exploite cette vision de l'homme au sommet de la création pour justifier des choses fort banales avec lesquelles je ne suis pas d'accord (en gros, le saccage de la planète).