Sharemanga: Les cours de kaori - Sharemanga

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L'audition (partie 1)

L'AUDITION (partie 1)

Fonctionnement du système auditif

Qu’est ce qu’un son ?
Le son peut se définir comme un phénomène physique, d'origine mécanique, consistant en une variation de pression (très faible), de vitesse vibratoire ou de densité du fluide, qui se propage en modifiant progressivement l'état de chaque élément du milieu considéré, donnant ainsi naissance à une onde acoustique. Cette onde acoustique produit une sensation reçue par l'oreille, transmise au cerveau et déchiffrée par celui-ci (Seules certaines ondes acoustiques peuvent être perçues par l'oreille humaine, il s'agit des ondes dont la fréquence est comprise entre 20 Hertz (Hz) et 20000 Hz. En dessous de 20 Hz, on parle d'infrasons, et au-dessus de 20000Hz, on parle d'ultrasons).
Un son est caractérisé par une fréquence (grave, aiguë) et une intensité (forte, faible) :
- La fréquence correspond au nombre de cycles complets de vibrations de l’onde acoustique en une seconde et s’exprime en Hertz . Les sons graves ont une fréquence basse, entre 16 et 500 Hz, et les sons aigus ont une fréquence élevée, supérieur à 8000 Hz.
- L'intensité sonore s’exprime par les décibels selon une échelle logarithmique (cette unité de mesure de l'intensité acoustique a été définie par Graham Bell, l'inventeur du téléphone. L'unité de base est le "bel" mais c’est son dixième, le décibel, qui est aujourd’hui le plus utilisé.). En effet, normalement l’intensité ou pression acoustique d’un son est mesurée en PASCAL (Pa) et l’oreille est sensible à des pressions allant de 0,00002 Pa à 20 Pa, soit un rapport de 1 à 1 000000. Afin de ramener cette large échelle de pression, exprimée en Pascal, à une échelle plus réduite et donc plus simple d’utilisation, la notation logarithmique a été adoptée et a donné lieu à la création du décibel (dB). Les classifications audiométriques ont été réalisées à partir seuil liminaire d’audition qui se définit par la valeur statistique moyenne du seuil d’audition d’un grand nombre d’adultes jeunes à oreilles normales.
L’échelle note la pression sonore minimale perçue à 0 dB et la valeur de la pression intolérable à 120 dB. Par exemple, une conversation entre deux personnes atteint environ 20 et 35 décibels, le bruit d’un marteau piqueur 90 dB. A 120 décibels (le décollage d'un avion) le bruit est insupportable et, à partir de 180 dB, le son peut tuer.

Anatomie et fonctionnement du système auditif
Plusieurs étapes peuvent être identifiée dans la perception des sons par le système auditif normal : la réception (oreille externe), la transmission (oreille moyenne), la transduction (oreille interne) et la perception par système nerveux central. De plus, la perception auditive des sons et notamment de la parole est aidée par des indices visuels.

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Oreille externe : la réception
L’oreille externe est constituée du pavillon et du conduit auditif externe.
Le pavillon, partie visible de l’oreille en forme de coquille, est constitué par un cartilage recouvert de peau. Il présente de nombreux replis qui ont pour fonction de capter les sons et de les diriger, permettant de situer leur provenance (Certains animaux comme le coyote peuvent déplacer leurs pavillons en direction de la source d’un son, mais les muscles qui permettent ces mouvements sont atrophiés et inopérants chez l’être humain.).
Le conduit auditif externe est un petit tuyau de 2 à 4 cm de long et de 0,5 cm à 1 cm de diamètre, creusé dans l’os temporal. La peau qui le tapisse contient de très nombreuses glandes qui sécrètent le cérumen (substance grasse et jaunâtre) et des poils retiennent les poussières et les petits insectes qui pourraient pénétrer dans le conduit (le tympan est au bout du conduit auditif). A l’intérieur, un phénomène de résonance se produit dû à la forme du conduit : il y a de nombreux virages qui amplifient le niveau sonore entre l’entrée et le tympan.
L’oreille externe n’est donc pas un récepteur passif : elle dirige et amplifie les sons.

Oreille moyenne : la transmission
L’oreille moyenne est une petite cavité remplie d’air (caisse du tympan) et tapissée d’une muqueuse creusée dans l’os temporal. Sa limite externe est le tympan et sa limite interne, une paroi osseuse percée de deux orifices, la fenêtre du vestibule (ou fenêtre ovale) et la fenêtre de la cochlée (ou fenêtre ronde). En somme, l’oreille moyenne est composée du tympan, de la caisse du tympan et de la chaîne des osselets.
Le tympan est une membrane mince (1/10 mm d’épaisseur) et translucide, formée de tissu conjonctif fibreux dont la face externe est recouverte de peau et la face interne d’une muqueuse. Cette membrane est déformable et fragile. Il a la forme d’un cône aplati dont le sommet pénètre dans l’oreille moyenne. Les ondes sonores font vibrer le tympan qui transfère cette énergie vibratoire aux petits osselets.
La chaîne des osselets comprend 3 os, suspendus dans l’oreille moyenne par des ligaments : le marteau, l’enclume et l’étrier. La « poignée » du marteau est rattachée au tympan, et la base de l’étrier s’insère dans la fenêtre ovale. L’enclume s’articule avec le marteau et l’étrier par des articulations synoviales.
Les osselets transmettent le mouvement vibratoire du tympan à la fenêtre ovale qui, à son tour, agite les liquides de l’oreille interne. Les mouvements du tympan entraînent des mouvements identiques de va et vient de l’étrier. Cette chaîne des osselets entraîne une amplification des sons de l’ordre de 20 à 30 dB, entre 1000 et 10000 Hz avec un maximum vers 4000 Hz (idem pour l’oreille externe).
De plus, la trompe d’Eustache est un conduit oblique qui relie l’oreille moyenne au nasopharynx, partie supérieure de la gorge.
Un réflexe de contraction des muscles appelé réflexe stapédien est observé. Il s’agit de deux minuscules muscles squelettiques qui se trouvent dans la caisse du tympan : le muscle du marteau et le muscle de l’étrier. L’action réflexe de ces muscles, déclenchée par des sons exceptionnellement forts (à partir 85 dB), protège les récepteurs de l’audition. Plus précisément, le muscle du marteau tend le tympan en le tirant vers l’intérieur, et le muscle de l’étrier atténue les vibrations de la chaîne des osselets ainsi que les mouvements de l’étrier dans la fenêtre ovale. Ce réflexe d’atténuation des sons diminue la propagation du son vers l’oreille interne, mais comme il se produit après une période de latence de 40 ms, il ne protège pas les récepteurs contre les bruits soudains, comme ceux des armes à feu. De plus, la protection apportée est relativement faible, elle est de l’ordre de 5 à 10 dB et varie selon la fréquence du son.
L’oreille moyenne a donc pour fonction majeure la transmission mécanique des vibrations sonores vers l’oreille interne. Mais elle assure aussi des fonctions d’amplification des sons et de protection des récepteurs auditifs.

Oreille interne
L’oreille interne est appelée labyrinthe, étant donné sa forme compliquée. Elle comprend le labyrinthe osseux rempli d’un liquide : le périlymphe, dans lequel baigne le labyrinthe membraneux rempli d’un autre liquide, l’endolymphe et le conduit auditif interne. Sa situation dans l’os temporal, à l’arrière de l’orbite, protège les récepteurs qu’elle abrite.
Le labyrinthe osseux est une cavité composée d’un système de canaux tortueux, creusé dans l’os, qui comprend trois régions : le vestibule, la cochlée et les canaux semi-circulaires.
Le vestibule est la cavité ovoïde située au centre du labyrinthe osseux. Il est situé à l’arrière de la cochlée et à l’avant des canaux semi-circulaires. C’est un organe qui abrite les récepteurs de l’équilibre qui réagissent à la gravité et encodent les changements de position de la tête. Il sert à détecter les accélérations de la tête, à contrôler les mouvements des yeux lorsque le corps est en mouvement et à maintenir l’équilibre.
La cochlée est une cavité osseuse spiralée et conique, deux fois plus petite qu’un pois cassé. Elle débute de la partie antérieure du vestibule, puis elle décrit environ deux tours et demi autour d’un pilier osseux appelé columelle.
Le conduit cochléaire membraneux, ou canal cochléaire, serpente au centre de la cochlée et se termine en cul de sac à son sommet. Il abrite l’organe de Corti qui est le récepteur de l’audition.

La cochlée est divisée en trois cavités distinctes qui sont, de haut en bas :
- la rampe vestibulaire, unie au vestibule et contiguë à la fenêtre ovale ;
- le canal cochléaire proprement dit ;
- la rampe tympanique, qui se termine à la fenêtre de la cochlée.
Les deux rampes communiquent à l’apex (sommet de la cochlée).
La cochlée est en communication avec l’oreille moyenne par l’intermédiaire de l’étrier (cf. infra) qui avec un mouvement de piston d’avant en arrière dans la fenêtre ovale va produire des vibrations dans les liquides contenus dans la cochlée.
Quand l’étrier vibre, il avance d’avant en arrière (avec une fréquence de 16 à 20.000 Hz) ce qui entraîne des vibrations dans les liquides qui vont arriver à faire vibrer différentes membranes. La membrane basilaire (membrane qui sépare la rampe tympanique de la rampe vestibulaire et du canal cochléaire) monte et descend et fait à son tour osciller la partie basale du canal cochléaire : selon la fréquence des sons envoyés à l’oreille, ce n’est pas le même endroit sur la membrane basilaire qui va vibrer. En effet, quand la vibration arrive dans la fenêtre ovale, si ce sont des sons aigus, ils font vibrer les parties proches de la fenêtre ovale. Au contraire, plus les sons sont graves, et plus la vibration se réalise vers l’apex.

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Sur cette membrane basilaire sont disposées les cellules nerveuses du récepteur auditif qui détectent les vibrations et vont envoyer les messages vers le cerveau. Si le son est trop important, les cellules nerveuses sont détruites : il y a alors surdité dans une zone plus ou moins importante et pour des fréquences bien précises.
Ces cellules nerveuses sont les cellules ciliées sensorielles externes et les cellules ciliées sensorielles internes (elles sont dites « ciliées » car les récepteurs situés sur ces cellules sont de petits cils), dont la base est entourée par les neurofibres afférentes du nerf cochléaire et qui ont un rôle différencié.

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Les cellules nerveuses sont activées par des vibrations qui entraînent la déformation des cils. Les cils des cellules externes sont disposés en forme de V ouvert. Lorsque les vibrations arrivent, les cils des cellules externes sont pliés et bougent de gauche à droite, ce qui entraîne le fonctionnement nerveux de la cellule : il y a alors envoi de messages nerveux vers le cerveaux. Le nombre de messages envoyés est en relation avec l’intensité du message. De plus, ces cellules ciliées externes ont la possibilité de faire bouger leurs cils amplifiant les vibrations qui se produisent. Ceci a pour conséquence que si les cellules externes vibrent beaucoup, alors les cellules internes, qui produisent les informations utilisées pour l’audition, vont vibrer à leur tour (elles sont stimulées). En somme, les cils des cellules internes ne bougent que s’il y a beaucoup de bruit.

Les mécanismes centraux de l’audition
Le nerf auditif contient un ensemble d’environ 35.000 fibres qui transmettent vers le cortex les informations auditives relatives à la fréquence, à l'intensité et à la composition des vibrations, ainsi qu’à celles qui se rapportent à la position de la source sonore dans l'espace .

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Le nerf pénètre dans le tronc cérébral au niveau du bulbe rachidien. Après plusieurs relais ou noyaux, les fibres auditives parviennent à l'écorce cérébrale ; elles sont alors 100 fois plus nombreuses car le nombre de neurones disponibles augmente à chaque relais.
Les noyaux cochléaires sont le premier relais pour les informations provenant des cellules internes. Ils sont liés à une certaine représentation du niveau sonore et sont à l’origine du réflexe stapédien.
L’olive supérieure (ou noyau olivaire) contrôle le système amplificateur et le filtrage. C’est le premier niveau dans lequel on prend en compte les informations provenant des parties droite et gauche du système auditif. Il y a analyse en terme de variation de niveau, de variation de fréquence, de variation de la position de la source sonore.
Le noyau du lemnisque latéral aurait un rôle dans la localisation spatiale (l’aptitude à discerner l’origine spatiale d’un son). Il pourrait avoir des connexions avec les centres susceptibles de déclencher des mouvements de la tête.
Le colliculus inférieur a une action dans l’analyse des sons en terme de niveau sonore, de variation de fréquence et de position dans l’espace. Il existe une comparaison entre l’information auditive et ses variations et entre l’information visuelle et ses variations. Les deux colliculi échangent leurs informations visuelles et auditives. Des réajustements ont lieu à ce niveau s’il y a handicap auditif ou visuel.
En ce qui concerne les corps genouillés médians (CGM) situés dans le thalamus et le cortex, il est difficile faire la différence entre ce qui est traité par l’un et l’autre. Les informations sont traitées sous forme de localisation spatiale et de signification.
Il faut moins de 20 millisecondes pour que les ondes sonores soient transmises au cerveau sous la forme de stimuli nerveux. Le traitement simultané de l'information sensorielle par le cortex auditif permet de garder la globalité et l’intelligibilité initiale du message.

La réception auditive du message dépend aussi de l’état d’éveil et de l’état attentionnel de la personne. De plus, selon la connaissance des sons et de leur utilité, le traitement des informations sera différent.


Dans la seconde et dernière partie sur l'audition nous verrons plus précisément l'emergence de ce sens chez le foetus et les expériences relatives aux capacités précoces du bébé.


L'odorat (et le goût)

Ca y est c'est la rentrée ! Voici un nouveau petit cycle de cours sur quelques données disponibles en psychologie sur l'emergence des sens chez l'Homme. Aujourd'hui nous débutons par le sens le moins étudié -peut être parce que nous manquons de flair ?- l'odorat. L'odorat est sans conteste un sens peu développé chez l'humain, comparé aux autres mammifères, mais c'est un sens très primitif et plutôt sympathique : saviez-vous que les cellules sensorielles olfactives sont les seules cellules sensorielles qui se reconstituent si on les perd ?

L'ODORAT


Un peu de biologie...

Les cellules olfactives qui tapissent les parois nasales sont très richement innervées. Sur la petite surface (5 cm2) de la muqueuse nasale on trouve 10 à 20 millions de cellules réceptrices qui transforment les messages chimiques en des messages électriques. Ceux-ci, par les trajets nerveux aboutissent au rhinencéphale situé dans le paléencéphale, partie ancienne du cerveau.

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L’Homme, du fait de la station bipède, a pu libérer ses membres supérieurs. Il a développé sa vision, son audition, sa psychomotricité et ses capacités intellectuelles aux dépens de son olfaction. Il a cependant conservé ses structures anciennes qui sont connectées à des aires associatives extrêmement riches et nombreuses. Celles-ci le relient au cerveau et aux noyaux de la vie végétative situés dans l’hypothalamus véritable centre supérieur de tout le système neurovégétatif qui reçoit les différentes voies nerveuses olfactives et optiques. Ceci explique l’importance de la sphère olfactive dans les activités végétatives (respiration, circulation, sécrétions).
Les cellules gustatives et olfactives évoluent avec l’âge. Nous sommes capables de distinguer entre 2000 et 4000 odeurs, flaveurs et arômes. Leur nombre et leur qualité progresse jusque vers l’âge de 20 ans, puis diminue lentement de 40 à 70 ans pour chuter au delà de cet âge.

Capacités olfactives du fœtus

Les recherches réalisées dans le domaine de l’olfaction montrent que le bébé est capable de discriminer des odeurs.
Le système olfactif est fonctionnel à la naissance : les neurorécepteurs olfactifs et les formations cérébrales de traitement de l’information olfactive arrivent à maturation vers 24/28 semaines de gestation. Les observations d’enfants prématurés (31/37 semaines de gestation) montrent qu’ils peuvent détecter différentes odeurs, ce qui confirme que le fœtus peut percevoir les différentes molécules odorantes véhiculées dans le liquide amniotique.

Rôle de l'olfaction dans le développement socio-émotionnel

Selon Schaal (1997) la discrimination des odeurs, en particulier l’odeur maternelle joue un rôle dans le développement de la relation privilégiée mère-bébé (familiarité qui sécurise l’enfant). Dès les premiers jours les nourrissons peuvent reconnaître l’odeur de leur mère parmi plusieurs odeurs ; les mères reconnaissent aussi l’odeur de leur enfant (Macfarlanne, 1975 ; Schaal, 1988).
Les odeurs familières (en particulier celle de la mère) contribuent à l’équilibre émotionnel de l’enfant et favorise son adaptation à l’environnement. En effet, Schaal (1986) constate dès le 3ième jour de vie une diminution de l’activité motrice du bébé, indice d’apaisement, quand on lui fait sentir une compresse portée par la mère, diminution significativement plus importante que lorsqu’on lui fait sentir une compresse portée par une autre femme. On peut penser que cette discrimination précoce intervient pour renforcer le contact de proximité avec l’adulte qui perçoit en retour l’effet positif de cet échange avec son bébé.
Cette capacité se maintient avec l’âge et selon Schaal (1988) jusqu’à 3/5 ans les enfants reconnaissent l’odeur d’un vêtement que leur mère a porté, ils peuvent aussi différencier l’odeur de leur frère (ou sœur) par rapport à celle d’un enfant inconnu.
De plus, Montagner (1978) a montré que les enfants jusqu’à 2-3 ans sont réconfortés par la présence d’un mouchoir ou d’un tee-shirt porté par la mère. La conservation avec eux d’un tissu imprégné de l’odeur de la mère leur permet de s’apaiser, lorsqu’ils ont été victime d’une agression par exemple.

Et chez nos amis "les bêtes" ?

Si on fait sentir à un raton une odeur particulière pendant le léchage ano-génitale (toilettage effectué par la mère après chaque miction ou défécation de ses petits) par la suite, il y a préférence du raton pour cette odeur particulière même si c’est une odeur répulsive pour l’espèce (comme le menthol pour le rat).

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Idem pour la tétée : par le lait il peut y avoir passage d’arômes que le jeune reconnaîtra dans les aliments solides. On a fait ingérer du thym (ou du curry = arôme non naturel pour le lapin) à des lapines pendant l’allaitement. Ceci a une influence sur les préférences alimentaires des lapereaux à court et à long terme.

LHA (20) Conclusion générale

Bien que, au long de toutes ces expériences les chimpanzés aient démontré des compétences cognitives complexes, leur capacité à acquérir et à utiliser le langage a été sujet à controverse. Une partie des difficultés dans l'accessibilité au langage pour les grands singes se trouve dans le fait qu'ils ne parlent pas. Même s'ils possédaient toutes les ressources cognitives pour le langage, la structure de leur appareil vocal ne leur permettrait pas l'accès au langage articulé.
Ainsi, pour étudier la production langagière de ces primates, les chercheurs ont utilisé les systèmes de signes ou des systèmes artificiels de symboles et chacune de ces méthodes est limitée par les capacités motrices et/ou de vocabulaire pour ces sujets non humains. Les systèmes de signes manuels ont souvent utilisé l'ASL qui requière, la plupart du temps, une fine coordination motrice et qui est très incommode pour la dextérité limitée des mains de singes. De plus, ces primates non humain qui ont utilisé les symboles ont été familiarisé au plus à des centaines de symboles qu'ils ont pu produire, alors que ce sont des milliers de mots qu'un enfant entend pendant son développement. L'évaluation des compétences des primates est donc, dans une large part, soumise à des limites dans les modalités d'évaluation.

La critique prédominante chez les personnes qui refusent d'admettre que chez Washoe, Sarah, Lana et les autres chimpanzés on a à faire à une communication véritable, c'est que la recherche sur la communication entre les animaux est inutile et ne peut rien apprendre sur la nature des bases du langage et que, de toute façon, les expériences montrent que ces bases n'existent pas chez nos plus proches parents d'un point de vue évolutif que sont les chimpanzés.
L'idée sous-jacente est que la communication animale en milieu naturel est si différente du langage humain qu'il est impossible qu'on ait pu passer de l'un à l'autre dans l'évolution. Ceci sous-tend la conception que l'apparition de fonctions et de comportements dans l'évolution ne peut se faire que par petites étapes et que l'on explique chaque nouvelle acquisition par un accroissement linéaire de différences infimes : c'est une conception très critiquable .
En fait, si on s'intéresse à l'évolution de la communication linguistique, l'individu doit nécessairement avoir acquis les capacités de former des associations et de les mémoriser, de se souvenir d'événement complexes sous forme de représentation mentale et pouvoir faire des opérations logiques de perception ou de représentation. C'est une fois que ces aptitudes se sont manifestées que la communication et le langage deviennent envisageables. A partir de là, il devient très intéressant d'étudier comment chacune de ces aptitudes a été produite indépendamment les unes des autres dans l'évolution des espèces animales, avant que leur présence simultanée chez l'Homme permette l'apparition du langage. c'est dans ce sens que toutes les études explorant les potentialités du chimpanzé dans ces différents domaines nous sont utiles !
D/ Bilan de l'expérience de Savage Rumbaugh

Cette recherche sur les facteurs affectant la compréhension du langage à été développé sous une optique bonobo vs chimpanzé, toutefois elle peut être mise en rapport avec la phylogenèse du langage humain. Les mêmes systèmes qui apparaissent être limitant pour le chimpanzé - attention, mémoire, processus et intégration de l'information - ont pu permettre à l'humain d'évoluer au-delà des limites observées couramment chez les primates. Par exemple, comparée à un enfant de trois ans, Panbanisha est limitée dans la complexité et la variété des règles linguistiques qu'elle comprend.

Bien que des relations entre le genre Pan et le genre Homo ne sont pas celles de l'ancêtre et de son descendant, comparer les résultats des bonobos et chimpanzés peut nous fournir des indices pour savoir l'ordre possible dans lequel les différents composants du langage humain se sont mis en place durant notre phylogenèse.

Les compétences de ces trois espèces existantes ont vraisemblablement en commun les capacités d'une forme ancestrale d'anthropoïde qui a vécu il y a 6 à 8 millions d'années. Ainsi la capacité à comprendre un discours simple, comprendre la signification pour laquelle le symbole est utilisé, et s'engager dans des routines intentionnelles de communication apparaît avoir été développé avant l'émergence du langage. L'expression de ces compétences a pu reposer ensuite sur l'existence d'une culture appropriée, des changements neuronaux et anatomiques qui ont permis la spécification, l'intégration et la croissance de tous les circuits impliqués dans nos compétences langagières.

Bien sûr, Panbanisha et Panpanzee ne sont que deux sujets, et cette étude contribue seulement à apporter une pièce dans le puzzle de l'émergence du langage. Toutefois c'est une pièce importante car les performances de Panbanisha montrent les grandes compétences du bonobo pour l'apprentissage du langage. En outre, la réussite de Panpanzee montre que le chimpanzé commun peut apprendre et comprendre le langage humain et utiliser des symboles quand il est immergé précocement dans un environnement riche en communication. On remarque aussi qu'il y a des différences entre Panpanzee de son cousin bonobo et les futures recherches de ce qui les différentie pourront peut-être contribuer à la compréhension de l'évolution de notre système langagier.

Et la prochaine fois nous finirons ce cycle sur le langage humain et l'animal avec une conclusion génerale.
C/ Résultats comparatifs bonobo versus chimpanzé

Avant, les premières études avec les Bonobos au LRC (avec les bonobos Kanzi et Mulika), deux chimpanzés mâles, Sherman et Austin, ont appris à utiliser et à comprendre des symboles visuo-graphiques, ou lexigrammes, grâce à des paradigmes basés sur la répétition. Chaque fonction de communication - demander, catégoriser et la compréhension des autres énoncés - a été apprise séparément et a requis beaucoup d'essais répétés pour que les chimpanzés les assimilent. Sherman et Austin semblaient comprendre certaines demandes verbales qui leur étaient présentées régulièrement, mais quand on compare leurs performances dans une tâche de réception langagière d'un seul mot (Donne moi X), les deux chimpanzés montrent alors une incompréhension de l'anglais parlé en absence d'indices contextuels.
Les résultats de Sherman et Austin suggèrent une possible différence entre les espèces quant à la capacité à comprendre le langage oral complexe. Si c'est confirmé, cette différence apporterait un point de distinction entre les deux espèces et pourrait fournir des indices importants en ce qui concerne l'évolution du langage humain.

Cependant, dans ces recherches, la comparaison des sujets bonobos et chimpanzés à été compromise par des différences dans leur éducation. Les chimpanzés avaient entre 1 an et demi et 2 ans et demi quand ils ont commencé la formation aux symboles, alors que les bonobos avaient 4 à 6 mois quand ils furent pour la première fois exposés à l'utilisation des symboles et à l'anglais (parlé par leur soigneurs). Il se peut que l'exposition et l'attachement aux humains de manière précoce soit un facteur critique pour le développement de la compréhension de la parole chez les chimpanzés. Il semble possible que ce soit le cas. De même, les recherches avec les chimpanzés Viki et Gua ont suggéré qu'une partie de la compréhension de la parole a pu être développée dans les situations d'élevage dans les habitations humaines, mais les comptes-rendus basés sur des données collectées sans contrôle du contexte sont de ce fait inexploitables. Il s'agissait donc de contrôler ces paramètres de manière plus rigoureuse.

Dans la recherche présentée ici on a, pour la première fois, des membres de deux espèces non humaines qui ont été élevés ensemble depuis le début de leur développement et qui ont profité d'un environnement qui a stimulé le développement de leurs compétences dans un langage non-articulé. Ceci permet de faire des comparaisons directes entre les membres de ces espèces et propose de nouveaux domaines d'étude qui pourraient se révéler intéressants pour le champ de recherche des processus d'apprentissage du langage chez l'humain.

Les résultats obtenus, bien que collectés de manière indépendante en utilisant diverses techniques, montrent une remarquable convergence. On voit que le Bonobo a les meilleures compétences de réception des deux sujets pendant toute la période de développement. Sa performance n'a pas été affectée par la suppression des indices contextuels potentiels ou par la combinaison de mots qu'elle connaissait dans des phrases complexes. Le modèle de développement de la réception du langage chez Panbanisha est caractéristique de son acquisition chez le bonobo, modèle qui n'est pas différent de celui de l'enfant avant l'âge de deux ans et demi. Mais la taille du vocabulaire des primates augmente moins vite que celle d'un enfant humain.

Plus surprenant que le haut niveau de performance du bonobo, est la démonstration de la compréhension du discours par le chimpanzé. Bien que son niveau d'exactitude reste plus bas que Panbanisha tout au long de l'étude, Panpanzee démontre toutefois de bonnes compétences dans la compréhension du discours bien au-dessus de celles des autres chimpanzés testés de la même manière mais élevés de façon différente. Ces données fournissent une preuve importante des effets de l'élevage sur l'apprentissage du langage. Par son immersion dans une culture langagière riche durant son développement et la possibilité, grâce aux interactions et aux opportunités d'apprendre par observation - conditions qui ressemblent à celles expérimentées en pratique par tous les humains durant leur enfance - ce chimpanzé a été capable de développer des compétences rudimentaires de compréhension du langage.

Prise globalement les données de ces sujets indiquent que beaucoup de pré-requis neuronaux à l'acquisition du langage simple ont du être mis en place des millions d'années avant les changements anatomiques. Les résultats des membres de ces deux espèces de primates, qui ont un écart de moins de 3 millions d'années dans l'évolution, montrent clairement qu'il existe pour eux des potentiels différents pour l'apprentissage du langage.

En fait, il semble qu'un ensemble plus complexe de systèmes soit impliqué dans la production d'un modèle résumant les observations de cette étude. Les composants de ces systèmes, s'enracineraient dans les processus et les structures neurophysiologiques et pourraient inclure, par exemple, la mémoire, l'attention et l'habileté à organiser l'information.

Considérons le rôle de l'attention par exemple. Pour apprendre la signification d'un mot articulé, on doit faire attention au son qui a été énoncé aussi bien qu'à la signification de ce son. Si un lexigramme est utilisé comme une représentation visuelle de ce mot, alors on doit accorder à ce lexigramme un supplément d'attention. De plus, la présentation de tous ces stimuli doit permettre à l'individu de les relier ensemble comme le symbole et son référent. Le processus requiert une capacité de concentration sur les composants caractéristiques de la situation. Si les sources de ces composants sont distinctes dans le temps - situation équivalente à l'absence de référent (ou signifiant) lors de l'utilisation d'un symbole - la mémoire à long terme de l'individu doit alors nécessairement rentrer en jeu.

Le chimpanzé commun est, comparé au bonobo, retardé de plusieurs mois dans sa capacité à se concentrer sur plus d'un objet au même moment. Bien que Panpanzee ait acquis une meilleure capacité à contrôler son attention en grandissant, elle a continué à être facilement distraite par des événements extérieurs. Les mots pour lesquels le chimpanzé a les meilleures compétences de réception furent aussi ceux pour lesquels elle manifeste le plus d'intérêt. Peut être que ces stimuli ont créé un état de motivation ou d'excitation qui lui a permis d'associer au symbole une signification.

Un autre domaine dans lequel les différences entre ces espèces peuvent être étendues est la capacité à produire puis à intégrer des séquences d'informations ou des informations provenant de sources multiples. Ces capacités ont été reliées au fonctionnement du lobe frontal . En effet, cette partie du néocortex est une aire du cerveau dans laquelle existent de grandes différences de volume entre l'homme et les primates . Mais des comparaisons analogues entre le néocortex des bonobos et des chimpanzés n'ont pas encore été réalisées.

Le chimpanzé montre des difficultés à répondre aux énoncés dans lesquels plusieurs aspects, comme une action, un objet, et une situation, doivent être gardés à l'esprit. On peut penser que de telles difficultés sont dues à des limitations dans des processus neuronaux permettant l'intégration de différentes unités d'informations . De plus, l'acquisition du vocabulaire requiert l'intégration d'informations provenant de différents canaux sensoriels . Panpanzee a peut être eu plus de difficultés que Panbanisha pour relier toutes les sources d'informations nécessaires au succès de son apprentissage et c'est pour cela que son vocabulaire n'a, à aucun moment, été plus étendu que celui du bonobo.
B/Postulats expérimentaux et déroulement de l'expérience de Savage-Rumbaugh

Les routines

La base de l'apprentissage du langage naturel par ces primates a été l'établissement de "routines" interindividuelles accompagnées par un adulte utilisant le langage. Comme le souligne Savage-Rumbaugh et al. (1993), ces "routines" sont des ensembles d'interactions interindividuelles enchaînées de façon plus ou moins régulière, qui se produisent de façon relativement analogues lors de situations différentes.

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Par exemple, dans une situation "de soirée", lorsque le labo est tranquille, cela donne lieu à des "routines" telles que la préparation du lait, des jeux calmes, le changement des couches et toutes sortes de soins jusqu'à ce que les petits s'endorment. A son tour, chacune de ces "routines" est constituée d'une série de gestes dont les composants tels que - pour la préparation du lait - prendre le biberon, ouvrir la boite de poudre de lait, la verser dans le biberon, ajouter de l'eau, mettre la tétine sur le biberon et finalement boire le lait.
Dans ces "routines", chaque participant a un rôle qui, jour après jour, reste relativement le même, toutefois les routines vont se modifier avec les petits, ceux-ci devenant de plus en plus actifs et initiateurs des séquences de la "routine". Au départ c'était le soigneur qui initiait l'interaction et assignait un rôle au jeune qui consistait à se concentrer et à indiquer qu'il était prêt à continuer avec la séquence suivante d'une routine.
Les séquences les plus importantes ou les transitions de routines, sont traduites par l'adulte de manière linguistique (c'est à dire avec la parole et/ou des lexigrammes, enseignés par l'adulte) et à l'aide de leurs comportements. Les marqueurs de ces séquences apparaissent être le plus efficaces lorsqu'ils ont lieu avant l'événement réel : parler de ce qu'on va faire avant de le faire, permet aux participants de prévoir ce qui va arriver ensuite. Une fois capable de comprendre les événements ultérieurs, le sujet peut commencer à exercer un contrôle sur le cours des événements.

Assez souvent, des séquences d'une "routine standard" sont ajoutées ou modifiées. Si durant la préparation du lait, il est découvert par exemple que le contenu de la boîte ou de la bouteille de lait est vide, une nouvelle boîte est localisée et ouverte. Les marqueurs linguistiques (lexigrammes ou langage parlé) sont particulièrement importants dans les moments où la routine est modifiée.

Les informations verbales données par ces marqueurs linguistiques vont permettre à tous les sujets de coordonner leurs comportements de sorte que la routine puisse continuer normalement.

b)Le déroulement de l'expérience

Panbanisha, le bonobo femelle, est née au Langage Research Center (LRC), le 17 novembre 1985. Elle a été élevée par sa mère, Matata, jusqu'à sept semaines, dès lors ce sont des soigneurs humains qui vont prendre le relais. Panpanzee, le chimpanzé femelle, née au laboratoire principal du Yerkes Regional Primate Center, le 31 décembre 1985 (c'est le premier chimpanzé né après la naissance de Panbanisha.) sera transférée au LRC le 8 janvier 1986. De ce jour et jusqu'à la fin de la recherche, (octobre 1989) Panbanisha et Panpanzee seront toujours ensembles et en compagnie d'au moins un soigneur humain. Ainsi les sujets établirent des liens privilégiés avec leurs soigneurs qui s'occupaient d'eux régulièrement.

Panbanisha et Panpanzee sont donc élevées ensembles et surtout dans un environnement comparable à celui dans lequel sont élevés beaucoup d'enfants humains, en tenant compte toutefois des activités et des intérêts propres aux jeunes primates. Manger, dormir, se baigner, changer de couches, se promener dans la forêt et grimper aux arbres, interagir avec les humains et les autres primates - tout cela entrecoupé de cessions de tests - rythment la journée de ces jeunes primates.

Ces différentes routines quotidiennes, interrompues par quelques variantes, ont structuré la croissance des jeunes singes et ont du fait créé un environnement optimal de communication sur les événements présents et à venir. Un tel environnement est considéré comme crucial dans les théories émergentes des acquisitions du langage par les non-humains . Panpanzee et Panbanisha ont participé à tous les aspects de la vie du laboratoire et tous les efforts ont été fait pour leur convertir l'information en lexigrammes, comme si on leur parlait anglais. C'est par l'observation des modèles adultes et de la compréhension ultérieure des énoncés, que ces primates ont développé des compétences langagières.

Tout au long de la recherche, les soigneurs ont parlé aux sujets en anglais, comme s'ils parlaient à des enfants humains. Aucune procédure spécifique n'a été oublié dans les discours, c'est à dire l'inflexion, le ton de la voix, le regard et le gestuel qui sont tous nécessaires pour communiquer un message durant nos interactions quotidiennes.

La principale différence entre la communication avec ces jeunes chimpanzés et la communication avec les enfants humains est que, chaque fois que cela était possible, les symboles visuo-graphiques ou lexigrammes ont été utilisés en supplément, ou en complément des énoncés anglais.

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Ces symboles ont été créés et assignés dans d'autres études avec d'autres chimpanzés. Approximativement 256 lexigrammes furent disponibles et utilisés durant la période de recherche. Les symboles apparaissaient seulement sur des photographies des référents présentés de manière individuelles, ou étaient accrochés individuellement dans des lieux appropriés (par exemple, le lexigramme "chambre" était placardé sur la porte de la chambre).

La prochaine fois nous verrons les résultats et conclusions de cette étude.

Nous entamons la dernière partie de ce cycle avec Sue Savage Rumbaugh qui étudie cette fois la compréhension du langage chez le chimpanzé classique et le bonobo.

S. SAVAGE RUMBAUGH ET L'ETUDE DE LA COMPREHENSION DU LANGAGE CHEZ LE CHIMPANZE COMMUN ET LE BONOBO


Pour cette auteur, l'étude de la compréhension du langage peut fournir un meilleur indice de la compétence langagière des primates que l'étude de la production du langage. En fait, nous savons que les grands singes ne sont pas limités anatomiquement pour comprendre le langage : leur appareil auditif est a peu près le même que le notre. C'est en évaluant, parmi les capacités de réception nécessaires aux compétences langagières chez des espèces voisines de l'homme, quelles sont celles qui sont plus ou moins bien développées, que nous pourrons peut être mieux comprendre comment les humains sont devenus ces êtres aptes au langage. L'auteur va comparer les capacités du chimpanzé commun avec celles du bonobo, qui est encore plus proche de nous.

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A/ La compréhension du langage chez l'humain et le bonobo

Compréhension du langage chez l'humain

Les psychologues du développement sont familiers du fait que la compréhension du langage amène à sa production. Cette compréhension commence à être évidente chez l'enfant autour de 8-10 mois.
Bien que la compréhension du langage commence à apparaître tôt dans la vie et ne requiert pas les fines capacités motrices qu'exigent les paroles et les gestes, cela ne veut pas dire que c'est un phénomène simple et automatique. Cela demande un minimum de conditions. Pour le langage parlé par exemple : l'individu doit être capable de distinguer les phonèmes et de les enchaîner en mot. De plus, il faut donner un sens au mot et enchaîner les mots de façon systématique pour que l'individu conçoive la signification globale de l'énoncé. Sous-jacentes à ces compétences linguistiques se distinguent des capacités cognitives telles que l'intégration temporelle ou spatiale de différentes informations ou bien la représentation mentale d'entités absentes ou encore l'établissement de relations d'intégration d'une partie à un tout. Le contexte de l'énoncé et l'intention du locuteur sont, de plus, des composants essentiels de la bonne compréhension des messages d'autrui.
En plus de ces facteurs cognitifs, des conditions environnementales appropriées doivent exister pour que l'apprentissage du langage ait lieu. L'enfant ne peut apprendre le langage sans y être exposé. Il devient évident que le développement des compétences langagières est très largement favorisé par l'entourage et la culture dans lesquels baigne l'enfant.
La faculté de compréhension se développe à la faveur des interactions quotidiennes entre les enfants et l'entourage : on n'apprend pas le langage à l'enfant par des exercices récompensés par une friandise. S. Savage Rumbaugh pense que ce fait doit être considéré quand on veut étudier les compétences linguistiques des autres primates. Pour étudier les compétences des espèces proches à un niveau qui permet de la comparer à la notre, nous devons alors leur fournir un environnement aussi similaire que possible que ce que l'on trouve dans les cultures humaines. On doit donc inclure les données linguistiques et sociales modelées sur la façon d'interagir des adultes et des enfants humains partout dans le monde.

Compréhension chez le bonobo

Au Langage Research Center (LRC), deux primates, Panbanisha le bonobo et Panpanzee le chimpanzé, ont appris à utiliser et à comprendre des symboles dans plusieurs situations de communication et sans véritable entraînement. Leur apprentissage a été moins systématique que celui d'autres primates à qui on a enseigné l'utilisation des symboles grâce à des exercices répétés ou à l'aide de paradigmes basés sur le conditionnement par récompense.
Les jeunes primates sont évalués sur leur niveau d'attention et leur participation aux activités quotidiennes du labo (jeux et tâches encadrées), mais ils n'ont pas besoin de produire des symboles afin de recevoir de la nourriture ou d'autres récompenses. Ces deux primates ont spontanément développé des compétences dans la réception du langage et ont facilement compris plusieurs mots anglais dans des conditions de test à l'aveugle.
Le bonobo a, en fait, démontré sa capacité à comprendre plusieurs centaines de phrases orales complexes et nouvelles. En outre, cette compréhension de symbole a pu être étendue à la production de symboles des sujets.
En résumé, on a essayé d'élever ces deux primates comme des enfants et on va pouvoir observer que leur acquisition du symbole comporte beaucoup de caractéristiques semblables à l'acquisition du langage par de jeunes humains.

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La prochaine fois nous verrons les postulats expérimentaux ainsi que le déroulement de l'expérience.
Une autre forme de langage artificiel : le Yerkish (1973)

Les critiques émises par les linguistes et par les psychologues sur les études des Gardner et des Premack portent surtout sur le manque de syntaxe des signes produits par les chimpanzés. En fait, pour Washoe on s'est surtout intéressé au fait qu'elle pouvait combiner plusieurs signes même si l'ordre des combinaisons était incorrecte, et pour Sarah on s'est surtout attaché à démontrer que le chimpanzé possédait les aptitudes logiques nécessaires au développement de la communication linguistique.

Ce programme de recherche qui se déroule au Centre de Recherches sur les Primates de Yerkes a donc pour objectifs de continuer les recherches en palliant au problème de la syntaxe du langage utilisé par l'animal et, par la même occasion, résoudre les problèmes concernant l'enregistrement de la totalité des productions linguistiques du sujet. On utilise pour cela :
- Le Yerkish, un langage artificiel mis au point par E. Von Glasersfeld et P. Pisani, de l'université de Georgie et qui possède une syntaxe très rigoureuse.
- Un ordinateur qui enregistre les différents échanges linguistiques.

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Le système de communication se compose donc d'un clavier, qui fonctionne comme une machine à écrire et où chaque touche représente un mot, figuré par un dessin géométrique que l'auteur nomme lexigramme. A chaque lexigramme est associé un concept, donc une seule signification. Pour composer des phrases, il suffit donc d'appuyer successivement sur plusieurs touches du clavier. De plus, les séquences de lexigrammes frappées sur le clavier apparaissent au-dessus de celui-ci. Pour indiquer la fin de la phrase, il y a une touche spéciale qui informe l'ordinateur que la phrase est terminée. Il y a aussi des touches qui déterminent la fonction de la phrase : interrogative, impérative, négative, etc.
De plus, le système est double car si l'un des claviers est dans la chambre expérimentale dans laquelle vit constamment Lana, la chimpanzé, l'autre se situe à l'extérieur et est à l'usage de l'expérimentateur. En plus, Lana peut modifier son environnement sans intervention humaine en le demandant à l'ordinateur qui peut lui donner nourriture et boisson, ouvrir le volet vers l'extérieur, allumer le projecteur de films, de diapositives et le magnétophone.

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Au début du programme de recherche, Lana avait deux ans et après six mois d'apprentissage elle satisfaisait tous ses besoins alimentaires en utilisant son clavier de lexigrammes. Pour les auteurs ceci n'est pas un conditionnement opérant de l'animal, car la communication est différente des autres comportements que l'on peut conditionner. En effet, la demande va spécifier la nature du renforcement attendu par le sujet. Ainsi, Lana n'accepte pas de l'eau si elle a demandé du lait à la machine et proteste immédiatement. On a donc ici apprentissage du fait que, soit chaque séquence de lexigrammes entraîne un résultat différent, soit chaque séquence a sa propre signification. De même, les protestations que Lana émet montre son aptitude à utiliser les lexigrammes dans un contexte différent que celui de l'apprentissage initial.
Après avoir appris la signification du lexigramme "nom de", elle réussit à demander le nom d'un objet qu'elle convoitait mais dont elle ignorait le nom. Et ultérieurement, elle accrut beaucoup son vocabulaire en demandant spontanément le nom de tel ou tel objet qu'elle ne connaissait pas.

Il est donc difficile de nier que Lana possède une certaine conception de ce que sont les noms et de la manière dont on peut les utiliser pour communiquer.
LES PREMACK ET SARAH (1967) suite

B/Compréhension des phrases

La conception du langage par les Premack

Dans son ouvrage de 1976, " Why chimps can read ", Ann Premack nous parle de sa conception du langage en terme musical. Pour elle, l'image que nous nous faisons d'une scène visuelle est condensée comme un accord de musique et toute scène est l'amorce potentielle d'une phrase, donc de langage. Elle explique que le processus à l'œuvre dans la description d'une scène par une phrase est semblable à celui de désassembler l'accord, séparer ce dernier en notes et enfin de mettre les notes bout à bout. Les acteurs, actions, compléments d'objet directs ou indirects sont donc les notes à partir desquelles les phrases sont écrites.
C'est donc, pour elle, de cette façon que nous fractionnons les scènes en phrases et la question est de savoir si les chimpanzés peuvent fractionner le monde de cette même façon. En effet, ceux-ci manifestent leur capacité à symboliser de façon évidente, mais en ce qui concerne la compréhension des phrases, ils doivent faire plus : se servir de mots en séquences et suivre des règles qui les feront confectionner des phrases en ordre.
Ann Premack rappelle que "ce n'est que parce que nous ordonnons nos phrases selon des règles communes et admises avec les autres, que nous pouvons communiquer ensemble en nous servant du langage".
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Compétences de Sarah

• Phrases simples

Sarah apprend à décrire des scènes par des mots placés dans le bon ordre.
En fait, dans les scènes réelles où la situation n'est pas inversable, c'est à dire où ordre prend racine dans la sémantique de la phrase, Sarah ne fait pas d'erreur. Par exemple seules les créatures animées peuvent par exemple laver, couper ou donner :

MONITEUR DONNER BALLON SARAH

Si on la met en situation où il n'y a pas cette limitation unidirectionnelle par la sémantique, en plaçant, par exemple, une carte de couleur sur une autre de couleur différente : la situation peut alors être inversée et Sarah a plus de difficulté.
? ROUGE SUR VERT Si c'est vert qui est sur rouge Sarah donne la réponse non seulement dans 30 % des cas, ce que les auteurs expliquent par son "aversion générale à la négation" et sa préférence pour le "oui".

• Phrases composées

Après avoir appris à Sarah à lire et comprendre des phrases simples, on lui a montré deux de ces phrases simples ensembles.

SARAH METTRE POMME SEAU
SARAH METTRE BANANE PLAT

-----> SARAH METTRE POMME SEAU BANANE PLAT Elle suit les directives des deux phrases correctement et finit donc par répondre correctement à une phrase composée. Elle organise bien la phrase et accomplit précisément les actions demandées.

• Phrases complexes
Pour lui apprendre les phrases de type conditionnelle telle que "Si Sarah gentille alors monitrice donner baiser Sarah" on utilise le symbole  qui veut dire en logique "si-alors". La phrase conditionnelle devient "Sarah est gentille si-alors monitrice donner baiser".
Pour faire apprendre ce qu'est une situation conditionnelle à Sarah on place celle-ci en situation de conditionnement opérant.

Exemple :

On montre à Sarah deux morceaux de fruit qu'elle est libre de prendre. Si elle prend le quartier de pomme elle reçoit du chocolat, et si elle prend le morceau de banane, elle ne reçoit rien. Puis on lui décrit la situation de conditionnement sous forme de question :
SARAH PRENDRE POMME ? MONITRICE DONNER CHOCOLAT SARAH Quelle est la relation entre le fait que Sarah prenne de la pomme et que la monitrice lui donne du chocolat ? Il faut remplacer "?" par " Image IPB"

Mais quand on a changé le type de phrase avec la banane qui donnait droit au chocolat, Sarah choisissait toujours la pomme sans se soucier de la phrase conditionnelle. Ceci, les expérimentateurs l'expliquent par le fait que le conditionnement avait entraîné le renforcement du choix de la pomme et pas de la banane. Puis se rendant compte de son erreur, Sarah fut plus attentive aux phrases présentées sur le tableau et réussit à exécuter correctement les actions.

La prochaine fois nous verrons une autre forme de langage artificiel : le Yerkish.
Dans les expériences qui vont suivre, les chercheurs ont conçu des langages plus simples et plus adaptés aux chimpanzés pour tenter de communiquer avec eux. Nous allons commencer par détailler la première expérience du genre faite par les Premack sur la chimpanzé Sarah puis nous verrons un autre langage artificiel crée dans les année 70 le Yerkish et enfin nous finirons sur les expériences actuelles de Savage Rumbaugh avec les bonobos (ce "singe kamasutra" est en effet encore plus proche de nous dans la phylogenèse que le chimpanzé classique).

LES PREMACK ET SARAH (1967)

En développant un langage destiné au chimpanzé Sarah, David Premack, aidé de sa femme Ann, a établi un système visuel et manipulable qu'on a pu par la suite enseigner à des enfants profondément déficients. Ce système s'articule autour de l'apprentissage des mots, de leur sens et de phrases simples.
Dans ce système, chaque symbole est unique au niveau de sa forme et de sa couleur. Il est en plastique avec un morceau de métal lui permettant d'adhérer à un tableau magnétique où Sarah les dispose en séquence verticale (de façon spontanée).
On va lui proposer d'apprendre :
- des noms, verbes, adjectifs, pronoms et quantificateurs
- des phrases interrogatives, impératives, composées et complexes
- et d'écrire une phrase en une suite ordonnée.
On a d'abord dû apprendre à Sarah quoi faire avec ces objets qu'elle ne pouvait pas manger et aussi lui apprendre le troc en lui faisant prendre et rendre des jouets et aussi à échanger un jouet contre un autre.

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A/ Etapes de l'enseignement de la lecture à Sarah

Même et différent

Un animal peut remarquer que deux bananes sont identiques, qu'une banane et une pomme sont différentes sans connaître le nom des objets qu'il compare : Sarah savait assortir les objet sans savoir leur nom.
Pour apprendre les concepts de même et de différent, on procède en mettant un point d'interrogation entre deux objets.

Exemple :

CLEF ? CLEF
signifie :"Quelle est la relation entre une clef et une clef ?"
Elle apprend a retirer le "?" et le remplacer par le mot correct, c'est à dire "même" ou "différent".
On peut aussi poser la question différemment, par exemple :
? MÊME CLEF "Qu'est ce qui est le même qu'une clef ?"

Oui et non

On va apprendre ces concepts à Sarah dans le contexte d'un petit thé (avec des friandises).
Il existe dans chaque langue une forme précoce de la négation. L'enfant, par exemple, place une particule négative devant des phrases simples : "pas aller bain" ou "pas maman fesser". Sarah apprit la négation de cette façon.
Quand elle tendait la main vers une sorte de friandise, la monitrice empêchait qu'elle prenne celle de la phrase négative.
Pour lui apprendre le oui, on la met dans le contexte d'une forme de question demandant une réponse en oui et en non.

Exemple :

CLEF ? MÊME CLEF : "Est-ce que la clef est la même que la clef ?"

Puis Sarah se mit spontanément à poser elle-même des questions et à y répondre, bien que quelquefois ses réponses étaient incorrectes. Cette fabrication correspond à celle de phrases hybrides utilisées par les enfants quand ils veulent obtenir des choses qu'ils ne savent pas nommer.

Les couleurs et les formes

Pour l'apprentissage des couleurs, on va lui donner des objets différents par leur forme et texture mais ayant la même couleur.

Exemple :

BALLON ROUGE CUBE JAUNE
PETITE AUTO ROUGE OEILLET JAUNE
BONBON ROUGE
CRAIE JAUNE

Pour la tester on va lui donner les quatre mots, par exemple :
MONITRICE DONNER ROUGE SARAH

On fait la même chose avec un objet jaune et le mot jaune. Si elle met les mots dans le bon ordre, on lui donne l'objet. Ainsi elle va pouvoir jouer avec l'objet et le rendre quand on lui demande, sauf en ce qui concerne les bonbons qu'elle mange (mais les chercheurs précisent qu'ils avaient "un stock de pièces de rechange").
L'apprentissage de la forme suit le même processus que celui de la couleur avec comme concepts "petit", "grand", "rond" et "carré".
Enfin, on lui enseigne les concepts de "couleur de", "forme de" et de "taille de" avec une méthode de complétude.

Exemple :

ROUGE ? POMME avec les concepts "couleur de" ou "pas couleur de" à la place du "?"
JAUNE ? BANANE

Avec l'enseignement du concept de couleur, il a été plus facile de lui apprendre de nouvelles couleurs.

Les quantificateurs


On va lui apprendre les concepts de "tous", "un", "aucun" et "quelques" en utilisant des biscuits ronds et carrés.

Exemple :

UN = un biscuit rond parmi cinq carrés
QUELQUES = deux ou trois biscuits


Les Premack ont donc constitué une technique originale d'apprentissage du langage qui pallie à certaines critiques formulées sur les études antérieures.


La prochaine fois nous verrons les résultats globalement obtenus sur les nouvelles compétences du chimpanzé Sarah.
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