Cacophonie d’ouverture
Gloubiboulga touristico-musical pour un show inaugural sans Mandela.
C’était promis, il allait y assister au moins un quart d’heure. Rien ni personne ne devait l’en empêcher. Un chauffard ivre en a finalement décidé autrement, dans la nuit de jeudi à vendredi, en tuant Zenani Mandela, 13 ans, arrière-petite-fille de la figure tutélaire de l’Afrique du Sud. Bouleversé par la nouvelle, «Madiba» (le nom tribal de Nelson Mandela), 92 ans, a suivi la cérémonie d’ouverture depuis son petit écran. Et pour être honnête, il n’a pas raté grand-chose.
C’est dans un froid austral et sous un bourdonnement incessant que se sont retrouvés les 92 000 spectateurs de l’irréel Soccer City Stadium. Posé dans Soweto, le magnifique stade inaugural, vaisseau galactique, décoré aux couleurs brun et rouge de la terre qui l’entoure, a accueilli cette cérémonie d’ouverture avec quelques minutes de retard.
A l’entrée, des bénévoles, l’air malicieux, distribuent des petits sachets dans lesquels l’organisation a glissé des bouchons d’oreilles antibruit, seules armes de défense face à la terreur de ce Mondial africain : la vuvuzela. Une trompette tellement puissante qu’elle a annulé absolument l’ensemble des performances musicales de la cérémonie d’ouverture.
Sur les écrans du stade, le compte à rebours est lancé : «Welcome home world, it’s time.» Tout commence avec des hommes déguisés en zèbres, sûrement des Zoulous, accompagnés de femmes en poncho, sûrement pas des Mexicaines. Une troupe de jeunes éphèbes en débardeur ferme la marche. N’y voir aucun hommage aux 2be3.
Au même moment, les écrans du stade balancent des images d’une Afrique du Sud rêvée, sinon carrément utopique : des Blancs, des Noirs, des camions Caterpillar, de l’argent, des animaux et des sourires.
Dépliant touristique toujours, la première partie du show est dédiée à la présentation des stades de la Coupe du monde. Puis c’est Bollywood time : des acteurs en sari rouge font leur entrée dans le stade en compagnie d’un énorme scarabée noir qui pousse le Jabulani, le «ballon» officiel de la compétition. Dans les tribunes, quelques amateurs de documentaires animaliers y lisent la métaphore du scarabée poussant un crottin d’éléphant. Si c’est eux qui le disent…
Côté son, c’est évidemment le concept World Music qui est à l’honneur. Timothy Moloi, sorte d’Andrea Bocelli noir, régale d’un énorme play-back qui ne trompe personne, puis s’éclipse face à la plus belle réussite visuelle de l’après-midi : un patchwork géant de saris représentant la carte du continent africain. Trois rappeurs tout droit sortis d’un clip MTV viennent finalement mettre fin à ce moment très Yann Arthus Bertrand. Le tout sous le regard hilare et le preach groove de Desmond Tutu, prix Nobel de la paix 1984.
Sepp Blatter, président de la Fédération internationale, lui, ne rigole pas : visiblement, il n’aime pas le Roi Lion. Khaled, costard noir, chaussures blanches et drapeau de l’Algérie en écharpe, semble ailleurs lui aussi : pas tellement concerné, le chanteur bouge mollement les lèvres sur Didi, un tube qui date tout de même de 1992, et puis s’en va. Khaled qui, rappelons-le, traîne un lourd dossier d’accusations de violences conjugales et d’abandon de domicile. Le prince du raï laisse ensuite sa place à R. Kelly et sa capuche cotte de mailles. Pour information, le rappeur américain est actuellement accusé de viol et d’attouchements sur mineur.
Apparemment, en Afrique du Sud, si on n’entend pas la musique, on sait au moins choisir ses invités. Que la fête commence.