Hadopi peine à s'exporter
Alors que le débat sur la loi Hadopi agite la toile française, la Nouvelle Zélande vient officiellement d'abandonner le principe de la riposte graduée. D’autres pays songent ou ont songé à adopter une législation similaire, dans le but de lutter contre le piratage des œuvres culturelles. Et bien souvent, l’échec est au rendez-vous. Petit tour d’horizon des lois et de la mobilisation des internautes.
Ils font demi-tour
Nouvelle Zélande
La figure de proue de la riposte graduée a été contrainte de faire machine arrière face aux protestations des internautes. La «section 92a» prévoyait de couper l’accès au réseau aux internautes étant reconnus coupables de piratage. Très vite, les internautes et les associations se sont organisés pour manifester leur mécontentement. Manifestations dans tout le pays, pétition (18 000 signataires), et surtout, un «black out» du web neo-zélandais.
Le premier ministre John Key a annoncé le 23 février dernier que la section 92a était suspendue. Il a donné jusque fin mars aux industries culturelles et aux industries des télécoms pour se mettre d’accord sur un code de bonnes pratiques afin d’éviter toute dérive. Celui proposé par les fournisseurs d’accès, très restrictif, ne plaît pas aux industries culturelles … Et aujourd'hui, coup de théâtre, la section 92a est purement et simplement abandonnée. Une nouvelle qui devrait certainement encore plus mobiliser les opposants français à la loi Hadopi.
Australie
Le Ministre des Communications et de l’Economie numérique, Stephen Conroy, souhaite obliger les FAI à bloquer un certain nombre de sites placés dans une liste noire. Cette liste sera établie par une autorité gouvernementale, l’ACMA (Australian Communications and Media Authorities). Elle est consultable à cette adresse (nous vous déconseillons néanmoins de cliquer sur les sites interdits, regroupant essentiellement des sites pédophiles ou pornographiques). Deux types de filtrages sont prévus. L’un à l’égard des enfants, sorte de contrôle parental qui pourra être déverrouillé par un adulte, et un filtrage qui s’appliquera pour tous les internautes australiens envers les sites «déviants». Quels seront-ils ? La question est grande ouverte. Stephen Conroy évoque les sites pédophiles, mais aussi «d’autres contenus indésirables».
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Les associations (notamment No Clean Feed) craignent une censure du net et dénoncent un projet liberticide. Les internautes ont manifesté en masse le 13 décembre dernier sous le mot d’ordre «Save the Internet»
Les FAI dénoncent eux aussi un projet irréaliste techniquement et économiquement. Selon les premiers tests, la vitesse de connexion serait ralentie d’en moyenne 30% (et jusqu’à 87%), tandis que des dizaines de milliers de pages seraient bloquées par erreur. Seuls six fournisseurs d’accès mineurs ont accepté de participer à une phase de test.
Face à cette opposition et aux nombreuses lacunes techniques du projet, ce dernier est sans cesse repoussé.
Royaume Uni
Alors que le pays était bien parti pour adopter la riposte graduée, il a soudainement fait volte face. Le gouvernement britannique a annoncé qu’il était hors de question de couper l’accès à Internet aux abonnés qui téléchargent illégalement. "Nous ne pouvons pas avoir un système dans lequel on parle d'arrêter des adolescents dans leur chambre à coucher", a en effet tranché le ministre britannique en charge de la propriété intellectuelle, David Lammy (photo ci-contre), dans un entretien accordé au Times.
Ce qui n’empêche pas le Royaume Uni de disposer d’un système de filtrage des sites indésirables. Ce travail est fait par l’Internet Watch Foundation (IWF), qui est chargé de surveiller et de rapporter les contenus en ligne illégaux (principalement la pédophilie).
Ce système a engendré une belle panique en décembre dernier. La IWF avait signalé une page Wikipédia publiant la photo de l’album de Scorpions, Virgin Killer, mettant en scène une (très) jeune fille nue. Aussitôt la page a été interdite. Problème, cela a empêché tous les internautes anglais de mettre en ligne ou de corriger du contenu sur Wikipedia (explications ici). Le même problème a eu lieu au Qatar quelques mois plus tôt.
Ils légifèrent
Suède
Le Parlement suédois a voté un texte qui vient durcir la législation contre le piratage sur Internet. La loi stipule que tout ayant-droit soupçonnant un internaute de l’avoir piraté pourra obtenir du tribunal son adresse IP via le fournisseur d’accès -FAI- (jusqu’ici, seuls la police ou un procureur pouvaient faire une telle demande). Le pirate, s’il est reconnu coupable, pourra recevoir une simple lettre d’avertissement ou écoper d’une amende. La coupure d’accès à Internet n’est pas prévue.
Les internautes et les citoyens suédois sont contre cette loi, et s’organisent autour du mouvement Stoppa IPRED.
Ils sont contre
Allemagne
« Je ne crois pas qu’Olivennes soit un modèle pour l’Allemagne, voire pour toute l’Europe ». La ministre fédérale de la justice, Brigitte Zypries, ne mâche pas ses mots face à la riposte graduée à la française. Selon elle, ce système va à l’encontre des dispositions locales de protection des données et au secret des télécommunications. «Je pense que le blocage de l’accès à Internet est une sanction tout à fait inacceptable. Elle serait, constitutionnellement et politiquement, très difficile», a déclaré Brigitte Zypries.
Norvège
Le ministre de l’Education et de la Recherche norvégien, Bard Vegar Solhjell, est en faveur de la légalisation du peer to peer, et la mise en place d’un système de licence globale.
Sur son blog, le ministre rappelle que "tous les progrès technologiques ont engendré des craintes sur la survie de l'ancien format. Mais la télévision n'a pas tué la radio, le Web n'a pas tué le livre, et le téléchargement ne va pas tuer la musique". "Au contraire", assure-t-il, "le Web est génial pour la diffusion de la musique et des autres arts. Les artistes peuvent plus facilement faire connaître leurs oeuvres, et vous pouvez accéder à toute la musique du monde quand vous le souhaitez. C'est fantastique !"
En France, le débat sur la loi Hadopi reprendra mardi 31 mars à l'Assemblée Nationale.