Bon billet sur la question.
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Tintin au Congo : le Ministre de la Culture sommé de réagir par le CRAN
J’hésite, je me freine : dois-je remettre une couche sur cette histoire que je tiens plutôt pour ridicule autour de Tintin au Congo, en parler sur ce blog et en faire une publicité supplémentaire ? Je bous intérieurement. Dans ce genre de situation, on a toujours la crainte d’être mal compris. Si on n’écrit rien, on consent ; si on s’exprime, il faut le faire avec circonspection, en respectant au maximum les partis en présence. Alors allons-y pour un bien long billet. De quoi s’agit-il encore et qu’est-ce qui me démange tellement ?
Rappelez-vous, je vous parlais il y a encore peu de la censure incroyable faite sur Tintin au Congo à la Bibliothèque de Brooklyn. Je présentais aussi, avec une critique négative assumée, de la démarche de M. Bienvenue Mbuntu Mondodo en Belgique, qui a porté plainte devant les tribunaux locaux pour racisme envers les noirs dans l’album d’Hergé. Ce monsieur a décidé de passer la frontière et avec l’aide de deux avocats français, parmi lesquels le médiatique Gilbert Collard, il a décidé de présenter sa plainte également devant un juge français. Par ailleurs, le CRAN, le Conseil Représentatif des Associations Noires, au travers de la voix de son président M. Patrick Lozès, a déclaré : “c’est un livre offensant pour les Noirs qui a sa place au musée, pas dans les bibliothèques ou les vitrines des librairies. Dans cette BD, les stéréotypes à l’égard des Noirs sont particulièrement nombreux. Les Noirs s’y expriment comme des imbéciles et même les chiens y parlent un meilleur français” (propos repris d’une news de LCI). Ce monsieur interpelle le Ministre de la Culture actuel, Frédéric Mitterand, et l’invite à trancher cette histoire (on attend encore sa réaction au moment où je rédige ces lignes).
Alors pour éviter tout soupçon un peu trop rapide de racisme sous-jacent dans mon billet (des commentaires peu amènes sur le précédent sujet m’ont beaucoup interpellés), je vous informe que je suis fils de métisse créole, que du sang asiatique, africain, européen (pour peu que cela veuille dire quelque chose !) coule dans mes veines et que j’en suis immensément fier. Mes ancêtres avaient sans doute des chaînes, d’autres tenaient des fouets, je ne suis pas responsable pour eux et j’aime mon prochain comme moi-même (enfin, sauf si il a ma gueule le matin au réveil). Voilà, c’est dit. On peut se serrer la main.
MAIS je trouve cette histoire de Tintin au Congo parfaitement stupide, démesurée et puérile. Je le dis, le maintiens, l’écris, à mon modeste niveau. Hergé, son auteur, s’est expliqué à de nombreuses reprises, a émis un sincère repentir, a repris l’album en corrigeant les plus grosses bêtises pour apaiser les esprits. Il a fait amende honorable, depuis il est mort et près de trente ans après, on continue de lui faire un procès ! Dans Coke en Stock (la Coke étant des esclaves), Tintin sauve des malheureux subissant encore la traite négrière. Tintin a parcouru le monde dans ses albums, s’est fait ami avec des hommes du monde entier, de toutes les couleurs, de toutes les origines, des blancs, des noirs, des jaunes, des rouges, même des verts (les Dupondt malades dans le désert !). Hergé au travers de son personnage a démontré une grande humanité et c’est la raison pour laquelle Tintin a séduit non seulement le petit blanc européen mais aussi des africains, des asiatiques, des américains… Est-ce que je veux dire que Tintin au Congo est inattaquable ? Aucunement. Je crois que comme toute oeuvre on peut le discuter, le critiquer et pointer du doigt ses maladresses, tant culturelles que de style.
De là à obliger l’éditeur à ajouter un avertissement au lecteur ou de prôner le retrait de l’album pour injure raciste, à forcer le Ministre à s’exprimer sur le sujet pour lui donner un tour politique, là je dis stop. Que les choses soient bien claires : Tintin au Congo n’a jamais eu valeur de documentaire, les personnages qui y sont présentés sont caricaturaux, Tintin compris (et Milou, un chien qui parle, vous le prenez au sérieux, vous ?). C’est une oeuvre de fiction, peu fine en effet, marqué par l’esprit de son temps, largement répandu en Europe (qu’aurai-je pensé alors pour ma part à l’époque, si j’avais grandi comme Hergé au temps des Empires Coloniaux ?), avec un humour assez faible (selon moi) mais bon enfant, qui prête en effet aux noirs des approximations de langage à traits forcés. L’époque est facilement définissable par notamment le modèle des voitures dessinées (rien qu’à voir la couverture) et le matériel utilisé par Tintin ; enfin, évidemment, on sait quand les premières planches sont parues dans le Petit Vingtième et son contexte historique (la Belgique de la fin des années 20).
Stigmatiser et marquer juridiquement Tintin au Congo, c’est ouvrir la porte à une effroyable Chasse aux Sorcières qui verra non seulement des livres marqués au fer rouge, mais aussi des chansons (les rappeurs sont en première ligne, par exemple), des films (propagande, quand tu nous tiens), des tableaux (Jésus et Marie n’étaient pas blancs : scandale !). Sans vouloir dramatiser, cela me rappelle l’aube des heures sombres vers la fin des années 30. Mettre un avertissement au lecteur sur Tintin au Congo, c’est une insulte à l’intelligence des gens dans notre société multi-raciale qui a déjà nombre de maux contemporains à régler avant de s’attaquer à des BD pour enfants des années 30, fussent-elles aussi populaires que Tintin. Je crois en l’éducation, je crois en la laïcité et affirme mon respect des convictions politiques, religieuses, morales. Je crois qu’il y a des sujets autrement plus sérieux par rapport aux peuples concernés.
J’en suis à me demander, mais sans doute est-ce du très mauvais esprit, si tous les Congolais aujourd’hui savent suffisamment lire et surtout ont les moyens de s’offrir Tintin au Congo. Pour être allé à Kinshasa il y a quelques années, pour avoir vu les bidonvilles s’étendant à perte de vue, des dizaines de milliers de gens tentant de survivre autour des échoppes dans les rues sans goudron et sans pavé, dans la moiteur de l’équateur, je ne suis pas complètement convaincu.
Finalement, est-ce qu’on pourrait déranger un Ministre plutôt pour une histoire un chouilla plus sérieuse ? Une idée : il faudrait que les droits de Tintin au Congo soient reversés aux enfants de ces bidonvilles. Il faudrait que notre petit confort d’occidental soit malmené un peu plus et qu’on aille y voir de plus près, comparer la situation imaginée (caricaturalement, encore une fois) par Hergé il y a 80 ans avec le Congo actuel. Il faudrait… Moi, je le dis tout net : je n’irai pas. Je suis lâche, j’ai déjà trop à faire avec ma famille, il faut que j’assure pour payer mon loyer exhorbitant, j’ai coiffeur. Cette histoire me fout la trouille, on perd le sens de certaines réalités. Mais pour me détendre, je vais prendre Tintin au Congo dans ma bibliothèque, je vais le montrer à mes enfants et je vais leur dire que le Monde n’est pas du tout celui que dessine Hergé. Mon ennui, c’est qu’il va falloir aussi que je leur dise comment est réellement le Monde…[/quote]