B/ Ontogenèse du langage chez l'humain
La communication
C'est en communiquant, même de façon non verbale, que l'enfant apprend à parler. Ainsi le langage est acquis dans un contexte social et selon une continuité entre le non-verbal et le verbal.
Dès les premiers mois de la vie, s'établissent des patterns dyadiques interactifs entre le bébé et l'adulte (un pattern est un schéma : un "patron" et une dyade, c'est ce qui se passe entre deux personnes, par exemple entre une mère et un enfant). Les premiers échanges sont centrés uniquement sur les personnes, et les comportements du bébé sont interprétés, par l'adulte, comme des signifiants ou comme signal de communication et ceci, sans qu'il y ait forcément de la part du bébé une intention nette de communiquer.
Il s'agit en fait de pseudo-dialogues au cours desquels les enfants vont progressivement apprendre :
- à utiliser les valeurs expressives de leur comportement, comme l'expression de la mimique et du regard
- à saisir les règles élémentaires de la conversation comme l'alternance des tours de parole. Ainsi vers l'âge de trois mois, on a apparition du "turn-taking" qui est un échange de vocalisations entre la mère et l'enfant qui ressemble à un vrai dialogue. Cette conduite stéréotypée ne dure que deux à trois semaines.
Ensuite, avec la maîtrise croissante de sa motricité, l'enfant va se tourner vers l'exploration de son environnement physique, et va progressivement entrer dans les mécanismes de base de la communication, car communiquer, c'est aussi transmettre des informations sur le monde extérieur.
C'est à partir du moment où l'enfant va coordonner ces deux centres d'intérêts (la personne et l'objet) que va apparaître l'intention de communiquer à l'adulte quelque chose à propos des événements ou des objets environnants. Vers six mois, le bébé suit le regard de sa mère sur un objet, si celui-ci est bien en vue, son regard se déplace alors alternativement du regard de l'adulte à l'objet en même temps qu'il vocalise. Les interactions sont devenues triadiques : bébé, adulte et objet. L'enfant adopte ainsi certaines règles de dialogue liées à l'attention conjointe ou à la coopération (action conjointe).
Il va passer d'une communication gestuelle globale, qui met en jeu le corps entier, à une forme de communication plus différenciée avec des regards et des pointages. Les postures gestuelles de l'enfant montrent alors de plus en plus clairement, qu'il cherche à faire partager son centre d'intérêt. Ici l'apparition du geste de pointage témoigne de la continuité des processus communicatifs qui vont des gestes aux mots.
C'est grâce au développement de cette capacité d'attention conjointe que le bébé pourra apprendre le nom des choses jusqu'à la production de ses premiers mots : c'est l'étiquetage. Mais beaucoup d'enfants qui pointent le doigt vers un objet pour en savoir le nom emmagasinent leur savoir et ne révèlent que plus tard le vocabulaire qu'ils ont ainsi dissimulé et accumulé.
Les étapes de production du langage articulé
Mais de développement de la communication n'est pas qu'un problème anatomique, car l'enfant doit apprendre à comprendre le langage, puis à le produire. Si on s'intéresse à l'ontogenèse de l'acquisition du langage, on peut identifier plusieurs étapes (au niveau des âges mentionnés, il existe toutefois de grandes différences entre les enfants).
Tout d'abord, on observe une période que l'on peut qualifier de pré-linguistique, de la naissance jusqu'à un an environ, qui comprend plusieurs étapes. A cette période on ne parle pas d'activité linguistique mais d'activité vocale.
Le nouveau-né émet tout d'abord des sons réactionnels (cris, pleurs) qui traduisent son bien-être ou son malaise et des sons végétatifs (toux, renvois, déglutition).
Puis un peu avant deux mois des vocalisations, ou gazouillements, apparaissent quand le bébé est dans une situation de confort. Cette apparition marque, chez l'enfant, l'apparition d'un contrôle plus grand sur ses organes phonatoires. La gamme de ses vocalisations est à la fois plus pauvre et plus riche que celle de sa langue maternelle. Plus pauvre, car certains sons consonantiques, qui exigent une coordination très fine des organes articulatoires, sont absents de ce répertoire. Mais plus riche, car certains sons produits par l'enfant sont absents de sa langue maternelle mais font cependant partie du répertoire d'autres langues. Ainsi l'enfant aurait la possibilité de prononcer tous les phonèmes et pourrait alors acquérir n'importe quelle langue. Enfin, l'enfant acquiert le contrôle de sa phonation vers cinq mois, il pourra ainsi commencer à moduler plus finement la durée, la hauteur et l'intensité de ses productions vocales.
Vers six, sept mois c'est le babillage. Au début, l'enfant commence à émettre des chaînes répétitives de syllabes, combine consonnes et voyelles et joue avec les sons, c'est le babillage canonique, où à chaque voyelle correspond une syllabe, avec production principale des voyelles [a] et [e]. C'est une phase essentielle de la préparation au langage parlé, ainsi les enfants acquièrent progressivement un modèle d'intonation de la langue : ils commencent à produire des syllabes qui respectent les contraintes de sa langue maternelle. Vers neuf à dix mois, ils vont produire des chaînes de syllabes sans répétition et parfois assez complexes. Ils produisent en fait des suites vocales variables et bien articulées qui donnent l'impression d'un "jargon" imitant de façon expressive le langage de l'adulte. Mais l'enfant n'explore pas toutes les possibilités articulatoires dont il dispose, il a des préférences pour certaines configurations, ce sont les routines de production : dès neuf mois, l'enfant utilise de façon plus ou moins régulière, certaines séquences dans des situations bien déterminées. On constate qu'entre les productions vocales émises dès la naissance et les premiers mots, l'évolution est très rapide.
Ensuite, on va avoir la période des énoncés d'un mot qui débute vers un an avec de fortes variations interindividuelles. En fait, la production du premier mot est considérée comme une étape importante car elle marque le moment où l'enfant accède vraiment au système linguistique et, chez l'enfant de cet âge, il est très difficile de déterminer la frontière entre le vocal et le linguistique. La détermination précise de la production du premier mot chez un enfant est très difficile, car à cet âge les premiers mots sont souvent des approximations éloignées du modèle adulte.
La variation de l'âge d'apparition du premier mot est très importante : de neuf à dix-huit mois. Cette période est donc caractérisée par la production de mots isolés qui sont appelés "olophrases" car ils peuvent avoir le sens d'une phrase pour l'entourage qui souvent leur attribue une signification revêtant la valeur d'une phrase entière. Par exemple, en fonction de la situation où l'enfant produit "papa" il peut vouloir dire "Tiens, voilà papa", ou "Papa, viens m'aider" ou encore "C'est le pull de papa" , etc. L'interprétation de l'adulte va être possible grâce à la situation et en fonction de l'intonation de l'enfant, de ses gestes ou de ses mimiques.
Grâce à cette interprétation, peuvent se mettre en place des interactions satisfaisantes entre l'enfant et son entourage. On voit ici l'importance de l'interprétation de l'adulte dans l'acquisition du langage et de son fonctionnement.
Le répertoire de l'enfant va passer de un à dix mots à cinquante mots vers 16 à 20 mois puis on a une explosion linguistique avec trois cents mots à 24 mois.
La période des énoncés de deux mots débute vers vingt mois avec des décalages très importants. L'enfant produit souvent des formules ou des expressions toutes faites comptabilisées par l'adulte comme plusieurs mots mais apprises par l'enfant comme un tout.
A partir de deux mots va se poser le problème de leur organisation selon leur fonction, c'est à dire de la syntaxe.
En 1963, Braine a émis l'hypothèse de l'organisation des énoncés de deux mots selon une grammaire spécifique appelée grammaire pivot. Cette grammaire distingue deux catégories de mots : les mots pivots et les mots ouverts. Les pivots sont peu nombreux, utilisés fréquemment, leur augmentation numérique dans le répertoire de l'enfant est lente et ils ont une position fixe dans l'énoncé pour un enfant donné (soit la première, soit la seconde).
Ils n'apparaissent pas seuls et se combinent avec un très grand nombre de termes mais jamais entre-eux. Les mot ouverts ont les caractéristiques inverses, ce sont des noms ou des verbes, ils sont plus nombreux, moins fréquents et occupent la place qui reste dans l'énoncé. Ils peuvent apparaître seul, se combiner entre-eux ou avec un mot pivot. Bien sûr, cette conception est critiquable et on peut observer que les caractéristiques des mots pivots ne sont pas aussi rigides. Cette grammaire a le défaut de sous-estimer le contenu des énoncés et leur fonction communicative. De plus, cette grammaire n'explique pas sur quelles bases se construisent les productions ultérieures plus élaborées : c'est une impasse.
Aujourd'hui on pense que les enfants possèdent une grammaire incomplète mais déjà adaptée à leur langue sur laquelle se basera le développement ultérieur. En effet, des comparaisons inter-langues montrent que ces énoncés de deux mots suivent les caractéristiques de la langue. La grammaire des enfants de deux ans n'est pas spécifique mais bien de même nature que celle de l'adulte. C'est à partir de cette grammaire incomplète, mais non incorrecte, que va se fonder le développement linguistique rapide de la troisième année.
Enfin apparaît la phrase pendant laquelle vont progressivement évoluer les systèmes nominal et verbal pour arriver à la maîtrise du langage de l'adulte. L'acquisition des noms, adjectifs, articles, prépositions et adverbes a lieu entre 2 et 6 ans et l'acquisition des déterminants et pronoms de 2 à 11 ans. De même, l'acquisition des différents temps et modes du verbe a lieu entre 4 et 6 ans.
Malgré sa complexité, l'acquisition du langage par l'enfant se fait sans apprentissage particulier et il va maîtriser la majeure partie de sa langue maternelle vers 5/6 ans. Pourtant, il doit apprendre en même temps les concepts et les mots qui les désignent alors qu'un l'adulte qui veut apprendre une langue étrangère connaît déjà les concepts va connaître un apprentissage souvent long et difficile.